le 05/03/2020

Règlementation des OGM

CE, 7 février 2020, Confédération paysanne et autres, n° 388649

Plusieurs associations ont demandé au Premier ministre d’abroger l’article D. 531-2 du Code de l’environnement, en ce qu’il exclut les organismes obtenus par mutagénèse du régime des organismes génétiquement modifiés (OGM) et de prononcer un moratoire sur la culture et la commercialisation des variétés rendues tolérantes aux herbicides (VRTH).

Saisi par ces associations d’une requête en annulation de la décision implicite de rejet du Premier ministre, le Conseil d’Etat s’est prononcé, à l’occasion d’un arrêt n° 388649 rendu le 7 février 2020, sur la question de la réglementation des organismes obtenus par certaines techniques de mutagénèse (1) ainsi que sur la demande des requérantes tendant à l’adoption de mesures de prévention des risques liés à la culture et la commercialisation des VRTH (2).

 

  1. Soumission à la règlementation sur les organismes génétiquement modifiés de certains organismes obtenus par mutagénèse

Les OGM, définis comme les « [organismes] dont le matériel génétique a été modifié autrement que par multiplication ou recombinaison naturelles » (article L. 531-1 C. env.), sont soumis à une règlementation spécifique, en application de la directive 2001/18/CE du 12 mars 2001, relative à la dissémination volontaire d’organismes génétiquement modifiés dans l’environnement, laquelle impose que les OGM soient, préalablement à leur mise sur le marché et à leur dissémination, soumis à des procédures d’évaluation des risques et d’autorisation. Les OGM sont également soumis à des obligations d’information du public, d’étiquetage et de suivi.

Or, aux termes de l’article L. 531-2 du Code de l’environnement, ne sont pas soumis à cette règlementation les organismes « obtenus par des techniques qui ne sont pas considérées, de par leur caractère naturel, comme entraînant une modification génétique ou par celles qui ont fait l’objet d’une utilisation traditionnelle sans inconvénient avéré pour la santé publique ou l’environnement. / La liste de ces techniques est fixée par décret après avis du Haut Conseil des biotechnologies ». L’article D. 531-2 indique à ce titre que les organismes obtenus par mutagénèse ne sont pas soumis à la règlementation des OGM.

La mutagénèse désigne un ensemble de méthodes ou techniques destinées à obtenir des mutations génétiques chez un organisme vivant. Elle est à distinguer de la transgénèse, qui implique l’introduction dans le génome d’un organisme d’un gène issu d’une autre espèce. La mutagénèse consiste à provoquer des mutations internes à l’organisme[1].

La Cour de justice de l’Union européenne (CJUE), que le Conseil d’Etat avait saisi d’une question préjudicielle le 3 octobre 2016 dans le cadre de la présente affaire, a considéré que « les organismes obtenus au moyen de techniques/méthodes de mutagenèse doivent être considérés comme étant des OGM » (CJUE, 25 juillet 2018, Confédération paysanne et autres, n° C-528/16). La Cour européenne a toutefois précisé dans sa décision que sont exclus de la règlementation OGM « les organismes obtenus au moyen de techniques/méthodes de mutagénèse qui ont été traditionnellement utilisées pour diverses applications et dont la sécurité est avérée depuis longtemps ». La CJUE opère donc une distinction entre les organismes obtenus par mutagénèse selon des techniques ou méthodes dites « nouvelles » ou « traditionnellement utilisées ».

Suivant ce raisonnement, le Conseil d’Etat a donc jugé que les organismes obtenus par des techniques ou méthodes de mutagénèse récentes, c’est-à-dire qui sont apparues ou se sont développées depuis l’adoption de la directive 2001/18/CE, doivent obéir à la règlementation des OGM. Il est donc enjoint au gouvernement de modifier le Code de l’environnement en ce sens dans un délai de six mois, et d’identifier dans un délai de neuf mois les variétés de végétaux qui auraient été inscrites au catalogue commun des variétés des espèces de plantes agricoles (qui répertorie les semences pouvant être commercialisées) sans que ne soit mise en œuvre les procédures d’évaluation et d’autorisations auxquelles elles auraient dû être soumises.

 

  1. Application du principe de précaution aux variétés rendues tolérantes aux herbicides

Les associations avaient également sollicité auprès du Premier ministre un moratoire sur les variétés rendues tolérantes aux herbicides (VRTH), par des méthodes ou techniques de mutagénèse, sur le fondement du principe de précaution. Cette demande a fait l’objet, elle aussi, d’un refus implicite qui est contesté par les requérantes devant le Conseil d’Etat.

Le Conseil d’Etat énonce alors que le Premier ministre, avant de refuser le moratoire, était tenu de rechercher s’il existait des éléments circonstanciés « de nature à accréditer l’hypothèse d’un risque de dommage grave et irréversible pour l’environnement ou d’atteinte à l’environnement susceptible de nuire de manière grave à la santé, qui justifierait, en dépit des incertitudes subsistant quant à sa réalité et à sa portée en l’état des connaissances scientifiques, l’application du principe de précaution ». Le cas échéant, le Premier ministre était tenu d’agir, d’une part pour veiller à la mise en œuvre des procédures d’évaluation du risque ainsi que, d’autre part, pour vérifier que des mesures de précaution soient prises, eu égard à la plausibilité et à la gravité du risque ainsi qu’à l’intérêt que représentent ces variétés. Le Conseil d’Etat apprécie la légalité du refus du Premier ministre à la date à laquelle celui-ci s’est prononcé.

Le Conseil d’Etat relève alors que plusieurs études confirment l’existence de facteurs de risque relatifs aux VRTH, même si leur réalisation effective n’est pas connue. En effet, les VRTH peuvent entrainer l’apparition de mauvaises herbes résistant aux herbicides par dissémination du matériel génétique, ce qui entraine une utilisation accrue des pesticides. Le Premier ministre ne pouvait alors écarter l’application du principe de précaution.

La juridiction administrative enjoint donc également au Gouvernement de prendre les mesures permettant de mieux évaluer les risques liés aux VRTH, en adéquation avec les recommandations formulées par l’ANSES dans son avis du 26 novembre 2019. Il est également enjoint au Gouvernement de saisir la Commission européenne, afin d’être autorisé à prescrire des conditions de culture appropriées pour les VRTH, issues de la mutagénèse, utilisées en France.

[1] Conclusions de M. L. Cytermann, rapporteur public, CE, 7 février 2020, Confédération paysanne et autres, n° 388649.