le 12/07/2018

Qualification des associations gestionnaires d’établissements et services sociaux et médico-sociaux (ESSMS) en pouvoir adjudicateur : premiers éléments de réflexion et d’analyse

La discussion portant sur la question de savoir si, oui ou non, les associations gestionnaires d’ESSMS[1] sont soumises au droit de la commande publique a, très récemment, été relancée par la CRC des Pays de la Loire, qui a pris position en faveur d’une telle soumission sans toutefois livrer la teneur de son raisonnement[2]. Sans prétendre à l’exhaustivité ou à un examen détaillé, la présente contribution se propose de revenir sur les différents critères prévus à l’article 10-2° de l’ordonnance n° 2015-899 du 23 juillet 2015 relative aux marchés publics (« l’Ordonnance »), dans la perspective de fournir des éléments d’analyse quant à la qualification ou pas de ces institutions, qui accomplissent des missions qualifiées par la loi d’intérêt général et d’utilité sociale[3], en « pouvoir adjudicateur ».

NOTION DE POUVOIR ADJUDICATEUR

Les règles relatives au droit des marchés publics[4], et plus largement au droit de la commande publique[5], s’appliquent par principe à un type particulier de personnes : les pouvoirs adjudicateurs. Trois catégories de personnes sont ainsi visées par l’article 10 de l’Ordonnance, dont les personnes morales de droit privé « qui ont été créées pour satisfaire spécifiquement des besoins d’intérêt général ayant un caractère autre qu’industriel ou commercial »[6]. En droit de l’Union européenne, celles-ci sont désignées sous le terme « d’organismes de droit public »[7]. Ainsi, dès lors qu’une personne morale de droit privée satisfait aux critères cumulatifs prévues à l’article 10-2° de l’Ordonnance, elle est de fait tenue de respecter le droit de la commande publique dans la passation de ses contrats.

Quels sont ces critères ? Ils sont au nombre de trois. L’entité en question doit (i) –on l’a dit – être dotée de la personnalité morale ; (ii) avoir été créée pour satisfaire spécifiquement des besoins d’intérêt général ayant un caractère autre qu’industriel ou commercial ; (iii) être sous la dépendance d’un pouvoir adjudicateur, ce qui est le cas à partir du moment où l’une des conditions suivantes est remplie : soit l’organe d’administration, de direction ou de surveillance de la personne morale est composé de membres dont plus de la moitié sont désignés par un pouvoir adjudicateur, soit son activité est financée majoritairement par un pouvoir adjudicateur, soit sa gestion est soumise à un contrôle d’un pouvoir adjudicateur. Seuls ces deux derniers critères alternatifs seront examinés dans le cadre de cette contribution – ceux tenant à la personnalité morale et à la satisfaction de besoins d’intérêt général ayant un caractère autre qu’industriel ou commercial pouvant, dans le cas des associations gestionnaires d’ESSMS, aisément être considérés comme satisfaits.

Comment doivent-ils être interprétés ? Au sens spécifique de la jurisprudence de la CJUE[8], qui en a retenu une acception fonctionnelle conformément à l’objectif de la Directive, qui est notamment d’exclure « la possibilité qu’un organisme financé ou contrôlé par l’État, les collectivités territoriales ou d’autres organismes de droit public se laisse guider par des considérations autres qu’économiques » dans le cadre de la passation de ses marchés[9]. En d’autres termes, la CJUE ne se limite pas à la lettre du texte mais se réfère plutôt à ses objectifs en cherchant à déterminer, via un examen circonstancié, si l’organisme en question doit être soumis à des contraintes que son propre intérêt économique ne le conduit pas naturellement à s’imposer.

FINANCEMENT MAJORITAIRE PAR UN POUVOIR ADJUDICATEUR

En substance, il s’agit ici de déterminer si les activités menées par les associations gestionnaires d’ESSMS sont majoritairement financées par des ressources provenant d’un ou plusieurs pouvoirs adjudicateurs. D’emblée, deux précisions doivent être apportées. D’une part, la notion de financement vise ici « un transfert de moyens financiers opéré sans contrepartie spécifique, dans le but de soutenir les activités de l’entité concernée »[10]. Ainsi, à l’inverse des subventions, ne constituent pas un financement par un pouvoir adjudicateur au sens de l’Ordonnance et de la Directive, les versements effectués en contrepartie de prestations de services[11]. D’autre part, la CJUE a précisé que la notion de financement majoritaire signifie un financement pour plus de la moitié[12], qui peut d’ailleurs comprendre « des paiements provenant d’usagers, qui sont imposés, calculés et recouvrés conformément aux règles de droit public »[13].

Qu’en est-il dans le cas des associations gestionnaires d’ESSMS ? Une analyse au cas par cas visant à déterminer si plus de la moitié des ressources de l’association concernée émane de pouvoirs adjudicateurs serait nécessaire. Toutefois, et sous réserve de l’appréciation qui pourrait être faite par la jurisprudence sur ce point, il semble possible d’exclure de ce calcul les financements versés dans le cadre de la gestion des ESSMS dès lors qu’ils constituent la contrepartie de services rendus[14]. A contrario, devraient être prises en compte dans ce calcul toutes les ressources allouées sans contrepartie spécifique par des pouvoirs adjudicateurs en vue de soutenir les activités de l’association.

CONTROLE DE LA GESTION PAR UN POUVOIR ADJUDICATEUR     
Si ce critère demeure sans conteste le plus délicat à cerner[15], la jurisprudence de la CJUE fournit de précieux éléments d’analyse qui permettent de mieux appréhender son raisonnement. En pratique, afin de déterminer si ce critère est satisfait, il convient d’examiner si les différents contrôles auxquels est soumis l’organisme créent une dépendance de celui-ci à l’égard des pouvoirs publics qui permet à ces derniers d’influencer ses décisions en matière de marchés publics, dépendance qui doit logiquement avoir une intensité équivalente à celle qui existe lorsque l’un des deux autres critères alternatifs est rempli[16]. Un simple contrôle a posteriori ne saurait donc suffire[17]. Pour autant, répond « à un tel critère une situation dans laquelle, d’une part, les pouvoirs publics contrôlent non seulement les comptes annuels de l’organisme concerné, mais également sa gestion en cours sous l’angle de l’exactitude des chiffres cités, de la régularité, de la recherche d’économies, de la rentabilité et de la rationalité et, d’autre part, ces mêmes pouvoirs publics sont autorisés à visiter les locaux d’exploitation et les installations dudit organisme (…). »[18]. Surtout, il a pu être considéré que lorsque « les règles de gestion [imposées par la loi à l’entité] sont très détaillées, la simple surveillance de leur respect peut, à elle seule, aboutir à conférer une emprise importante aux pouvoirs publics ».[19] Dans cette affaire, qui concernait les SA d’HLM, l’effectivité du contrôle sur la gestion était, selon la CJUE, notamment révélée par la possibilité pour le ministre de prononcer leur dissolution, de nommer un liquidateur, de suspendre les organes dirigeants et de nommer un administrateur provisoire – ceci quand bien même l’exercice de ces prérogatives avait vocation à demeurer exceptionnel[20]. En synthèse, on retiendra que la CJUE s’attache à évaluer le degré d’autonomie dont dispose concrètement l’entité sur le plan organisationnel et budgétaire[21].

Qu’en est-il dans le cas des associations gestionnaires d’ESSMS ? D’ores et déjà, c’est selon nous de la satisfaction, ou non, de ce critère dont dépend la qualification des associations gestionnaires d’ESSMS en pouvoir adjudicateur. Et, sans présager de la position des juges qui pourraient être amenés à se prononcer sur ce point, il serait difficile de contester le fait que ces associations et les ESSMS qu’elles gèrent sont soumis, dans leur fonctionnement quotidien, à un regard attentif de leur autorité de tarification ainsi qu’à un certain nombre de contrôles de la part des pouvoirs publics[22].

Une attention particulière sera donc portée, au cas par cas, au risque de qualification en pouvoir adjudicateur des ESSMS.

Nadia BEN AYED, avocat directeur et Christophe FARINEAU, avocat

[1] Etablissements et services sociaux et médico-sociaux.

[2] V. CRC des Pays de la Loire, Rapport d’observations définitives, ADAPEI-ARIA 85, exercices 2016 et 2017, 5 avr. 2018, p. 26.

[3] V. art. L. 311-1 du CASF.

[4] Constituées de l’Ordonnance et du décret n° 2016-360 du 25 mars 2016 relatif aux marchés publics.

[5] La qualification de pouvoir adjudicateur conduit également, le cas échéant, à devoir respecter les règles relatives au droit des concessions (ordonnance n° 2016-65 du 29 janv. 2016 relative aux contrats de concession et décret n° 2016-86 du 1er févr. 2016 relatif aux contrats de concession).

[6] Les deux autres catégories étant : les personnes morales de droit public ; et, les organismes de droit privé dotés de la personnalité juridique constitués par des pouvoirs adjudicateurs en vue de réaliser certaines activités en commun (art. 10-1° et 10-3° de l’Ord.).

[7] Article 2.1.4 de la directive 2014/24/UE du Parlement européen et du Conseil du 26 févr. 2014 sur la passation des marchés publics (« la Directive »).

[8] La quasi-intégralité de la jurisprudence pertinente en la matière nous provient de la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE).

[9] V. CJCE, 1er févr. 2001, Commission c/ France, aff. C-237/99, pts. 42 et 43 ; CJCE, 3 oct. 2000, University of Cambridge, aff. C-380/98, pt. 17.

[10] CJUE, 12 sept. 2013, IVD GmbH & Co. KG, aff. C-526/11, pt. 22.

[11] CJCE, 3 oct. 2000, University of Cambridge, précité, pts. 21 et 26.

[12] Ibid., pt. 32. Pour les modalités de ce calcul, v. pts. 40 et 41.

[13] Cons. 10 de la Directive. V. par ex. : CJUE, 13 déc. 2007, Bayerischer Rundfunk, aff. C-337/06.

[14] V. CE, 6 juil. 1994, Comité mosellan de sauvegarde de l’enfance de l’adolescence et des adultes, n° 110494, dans lequel le Conseil d’Etat considère que les prix de journées consentis aux établissements à caractère sanitaire et social gérés par une association ne peuvent s’assimiler à des subventions de fonctionnement puisqu’ils constituent la contrepartie de services rendus. V. également : rép. du ministère des affaires sociales et de la santé à QE n° 06176, JO Sénat, 27 févr. 2014, p. 528.

[15] V. récemment, Cass. com., 8 mars 2016, n° 14-13540.

[16] CJCE, 1er févr. 2001, Commission c/ France, précité, pts. 48 et 49

[17] CJUE, 12 sept. 2013, IVD GmbH & Co. KG, précité, pt. 29.

[18] CJCE, 27 févr. 2003, Adolf Truley GmbH, aff. C-373/00, pt. 70.

[19] CJCE, 1er févr. 2001, Commission c/ France, précité, pt. 52.

[20] Ces contrôles correspondaient donc davantage à une surveillance exercée sur la manière dont est dirigée l’organisme qu’à de véritables immixtions dans sa direction (v. conclusions de l’avocat général J. Mischo, pt. 36).

[21] CJUE, 12 sept. 2013, IVD GmbH & Co. KG, précité, pts. 27 et 30.

[22] Que la présente contribution n’a pas pour objet de détailler.