le 24/01/2019

Provocation à commettre un délit suivie d’effet – Conflit de lois entre l’article 23 de la loi de 1881 et l’article 121-7 du Code pénal

Cass., Ch. mixte, 30 novembre 2018, n° 17-16047

Le 15 juillet 2013, à l’appel d’organisations syndicales agricoles, des producteurs de lait se réunissaient devant la Maison des agriculteurs de la Mayenne. Par la suite, ils se rendaient aux abords du siège du groupe Lactalis, pour y exprimer leur mécontentement. Ils plaçaient des pneumatiques devant le portail d’accès du groupe, qu’ils incendiaient alors à la nuit tombée, et les équipements permettant la fermeture du site étaient détériorés.

Le groupe Lactalis assignait la Fédération départementale des syndicats d’exploitants agricoles de la Mayenne sur le fondement de l’article 1382, devenu 1240 du Code civil, aux fins d’obtenir réparation de son préjudice.

La Cour d’appel d’Angers, par sa décision du 17 janvier 2017, faisait droit à cette demande, sur ce fondement ; elle condamnait ainsi le syndicat en retenant que celui-ci avait donné des consignes aux agriculteurs qui devaient être qualifiées de provocation directe à la commission, d’actes illicites dommageables commis à l’aide des pneus, et qu’il y avait en conséquence un lien direct entre les directives données par le représentant du syndicat au nom de ce dernier et le préjudice subi.

Un pourvoi en cassation était formé par le syndicat, arguant que la provocation reprochée était celle prévue par l’article 23 de la loi du 29 juillet 1881, de sorte que le seul régime juridique de responsabilité applicable n’étant pas la responsabilité civile de droit commun mais le régime de la loi spéciale sur la presse (loi du 29 juillet 1881).

La Cour de cassation n’a pas fait pas droit au moyen soulevé par le syndicat et a rejeté son pourvoi, considérant que la provocation effective dont il a fait part relève d’un acte de complicité au sens de l’article 121-7 du Code pénal et par suite du régime de l’article 1240 du Code civil.

Rappelons qu’aux termes de l’article 23 de la loi sur la presse « seront punis comme complices d’une action qualifiée de crime ou délit ceux qui […], par des discours, cris ou menaces proférés dans des lieux ou réunions publics […] auront directement provoqué l’auteur ou les auteurs à commettre ladite action, si la provocation a été suivie d’effet ».

Ce texte incrimine la provocation directe suivie d’effets à commettre des crimes (ou leurs tentatives) et des délits ; il constitue le support d’une infraction autonome (soumise au régime de presse) qui est apparentée à la complicité du Code pénal (article 121-7 – régime pénal de droit commun).

Des actes matériels peuvent donc relever, en conflit, de la qualification de l’article 23 de la loi de 1881 et de celle de l’article 121-7 du Code pénal ; le comportement du représentant du syndicat pouvait ainsi relever d’un acte de provocation au sens de l’article 23 comme d’un acte de complicité par instigation au sens de l’article 121-7 du Code pénal.

Ce conflit de qualifications peut ou doit, en premier lieu, se régler par le critère de publicité, lequel est expressément requis par l’article 23 précité.

Dans l’arrêt précité, la Cour de cassation a sans doute constaté l’inapplication de l’article 23 à défaut de publicité, car l’auteur des propos et les manifestants étaient liés par une communauté d’intérêts ; dès lors, l’article 121-7 du Code pénal devait trouver application.