le 17/12/2020

Précisions du Conseil d’Etat sur le contrôle déontologique de la HATVP pour les fonctionnaires cessant leurs fonctions

CE, 4 novembre 2020, n° 440963

Par un arrêt du 4 novembre 2020, le Conseil d’Etat s’est pour la première fois prononcé sur la légalité d’une délibération de la Haute autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP), rendu dans le cadre de la mission dont elle est nouvellement dotée depuis l’intervention de la loi n° 2019-828 du 6 août 2019 de transformation de la fonction publique, c’est-à-dire le contrôle de la compatibilité pénale et déontologique des cessations de fonction de certains agent publics souhaitant rejoindre une entreprise privée.

C’est donc la première chose à retenir ici : le caractère susceptible de recours de l’avis rendu, fort logiquement finalement en ce que sa portée n’est pas sans conséquence, puisqu’elle va interdire un projet de départ de l’administration vers le secteur privé.

La décision faisait suite à une ordonnance de référé rendue par le Conseil d’Etat dans la même affaire, qui avait déjà apporté plusieurs précisions intéressantes, confirmées et enrichies par cette dernière décision de novembre 2020.

Deux points en particulier doivent être soulignés.

La première indication fournie par cette jurisprudence est le régime procédural suivi devant la HATVP. Dans l’affaire, le requérant soutenait en effet que le principe du contradictoire avait été méconnu, à défaut pour lui d’avoir été informé du sens de la décision à venir, et de n’avoir pas été mis en mesure d’opposer à cette décision ses observations avant qu’elle ne soit adoptée.

Le Conseil d’Etat écarte cette critique, et juge ainsi qu’aucune obligation de la sorte ne s’impose à la HATVP : s’agissant d’une décision prise à la suite d’une demande formulée par l’intéressé, la procédure contradictoire prévue à l’article L. 121-1 du Code des relations entre le public et l’administration ne s’impose pas.

La conséquence est significative pour les agents qui seraient amenés à soumettre leur cas devant la HATVP parce qu’ils entrent dans le champ de son contrôle : il conviendra, dès l’introduction de la demande, d’argumenter en détail sur l’ensemble des points du dossier, y compris ceux sur lesquels la situation est la plus délicate. A défaut, les agents pourraient en effet ne pas avoir de nouvelle opportunité de le faire.

La seconde précision apportée par le Conseil d’Etat porte sur la nature du contrôle de  la HATVP sur la situation du fonctionnaire qui lui est soumise. Il juge en effet que, concernant le contrôle pénal qu’elle est amenée à exercer, il appartient à la Haute autorité « non d’examiner si les éléments constitutifs de ces infractions sont effectivement réunis, mais d’apprécier le risque qu’ils puissent l’être et de se prononcer de telle sorte qu’il soit évité à l’intéressé comme à l’administration d’être mis en cause ». Autrement dit, la Haute autorité apprécie l’existence d’un risque d’infraction, et non la réalité de sa commission dans l’hypothèse où le projet du fonctionnaire aboutirait.

La conséquence de cette nuance est que le contrôle de la HATVP est en définitive plus sévère que celui du juge pénal, ainsi que l’illustre la suite de l’arrêt. Dans l’affaire, le requérant avait en effet argué que le contrôle de la HATVP était entaché d’une erreur d’appréciation, puisqu’elle avait considéré établi le risque d’infraction pénale, alors que la jurisprudence de la Cour de cassation s’opposait pour sa part à la caractérisation de l’infraction.

Or, le Conseil d’Etat, se fondant sur la nuance précitée, c’est-à-dire « eu égard à l’appréciation qu’il revient à la Haute autorité pour la transparence de la vie publique de porter sur le risque pénal », considère que malgré cette jurisprudence, le risque pénal reste effectif, et que l’appréciation de la Haute autorité reste fondée.

La même appréciation extensive de l’incompatibilité est également appliquée en ce qui concerne le contrôle de compatibilité déontologique, qui consiste, pour rappel, à apprécier si le départ du fonctionnaire vers l’entreprise « est susceptible d’avoir une incidence sur le fonctionnement normal, l’indépendance ou la neutralité du service ». Là encore, la HATVP a procédé à une appréciation du risque d’atteinte à ces principes, ce qui lui a permis de considérer que même à défaut pour l’intéressé d’avoir le moindre contact avec son ancienne administration, la simple succession de fonctions pour le fonctionnaire était de nature à faire peser des doutes sur l’impartialité avec laquelle il avait exercé ses fonctions. Autrement dit, le risque était que, voyant le fonctionnaire rejoindre son activité privée, le public et ses interlocuteurs ne viennent à penser qu’il aurait agi partialement pour obtenir son poste.

Le Conseil d’Etat a validé cette analyse. Ce faisant, il consacre non seulement une acception particulièrement étendue de la notion de risque déontologique, mais surtout, il élargie le champ du contrôle à un nouvel aspect de la neutralité et impartialité du service. La commission de déontologie se limitait en effet à considérer qu’une telle atteinte résultait des futurs contacts que pouvait avoir l’ancien fonctionnaire avec son administration, considérant notamment qu’il risquait d’user de son ancien statut pour obtenir un traitement de faveur. Désormais, il s’agira également de déterminer si le simple fait, pour l’agent, de rejoindre une entreprise, n’est pas de nature à jeter le discrédit sur l’impartialité avec laquelle il aurait exercé ses fonctions.

En résumé, l’arrêt du Conseil d’Etat valide le choix de la HATVP de retenir une interprétation particulièrement ferme de la mission qui lui incombe qu’il conviendra de prendre en considération, à la fois par les agents amenés à saisir directement la HATVP, mais également les administrations chargées de procéder au contrôle déontologique lorsque la HATVP n’est pas directement compétente.

Une nuance doit être toutefois apportée : en l’espèce, l’agent intéressé était le secrétaire général du ministère de l’Europe et des affaires étrangères, et s’apprêtait à rejoindre un organisme particulièrement important dans le secteur de l’industrie nucléaire française. On peut donc imaginer que le contrôle s’est voulu à la hauteur de l’enjeu de cette mobilité, et la gravité que pourrait avoir les conflits d’intérêts rencontrés par l’intéressé. Il est donc permis de penser que ce contrôle pourrait être moins sévère, dans des cas d’une moindre envergure.