Droit de la construction et assurances
le 06/04/2020

Possibilité de prolongation des délais d’exécution et levée des mécanismes de sanction en cas d’impossibilité d’honorer les engagements contractuels : les aménagements liés au covid-19

Ordonnance n° 2020-319 du 25 mars 2020 portant diverses mesures d'adaptation des règles de passation, de procédure ou d'exécution des contrats soumis au code de la commande publique et des contrats publics qui n'en relèvent pas pendant la crise sanitaire née de l'épidémie de covid-19

Dans une précédente brève d’actualité, nous avons mis en évidence les conséquences prévisibles de l’épidémie de Covid-19 sur les délais d’exécutions des contrats de la commande publique.  

Nous émettions l’hypothèse, confortée par la fiche de la Direction de l’Actualité Juridique relative à la passation et l’exécution des marchés publics en situation de crise sanitaire, de reconnaître, selon les difficultés propres rencontrées dans l’exécution de chaque contrat, l’existence d’une situation de force majeure.  

Nous attirions à cet égard l’attention sur la nécessité de s’assurer au cas par cas de la réunion des conditions cumulatives de la force majeure.  

L’article 11 de la loi n° 2020-290 du 23 mars 2020 d’urgence pour faire face à l’épidémie de covid-19 a depuis lors habilité le Gouvernement à prendre par voie d’ordonnance toute mesure « adaptant les règles de passation, de délais de paiement, d’exécution et de résiliation, notamment de celles relatives aux pénalités contractuelles, prévues par le code de la commande publique ainsi que les stipulations des contrats publics ayant un tel objet ». 

C’est désormais chose faite.  

Ainsi, l’article 6 de l’ordonnance n° 2020-319 du 25 mars 2020 portant diverses mesures d’adaptation des règles de passation, de procédure ou d’exécution des contrats soumis au code de la commande publique et des contrats publics qui n’en relèvent pas pendant la crise sanitaires née de l’épidémie de covid-19 prévoit notamment deux dispositifs visant à ne pas pénaliser les opérateurs économiques qui ne seraient pas en mesure d’exécuter, du fait de l’épidémie, leurs engagements contractuels dans les délais prévus au contrat.  

 

I – Possibilité de solliciter la prolongation des délais : un formalisme à préciser

D’abord en effet, l’ordonnance prévoit que, peu important l’existence de clauses contraires dans les contrats liant les acheteurs aux opérateurs économiques, le titulaire du contrat pourra demander une prolongation du délai d’exécution. 

Cette demande doit être formulée par le titulaire avant l’expiration du délai contractuel. 

La prolongation pourra alors être accordée pour une durée au moins égale à celle courant du 12 mars 2020 à la fin de l’état d’urgence sanitaire, augmentée de deux mois.  

Ceci étant, on relèvera que l’article 1er de l’ordonnance 2020-319 précitée précise que les mesures qu’elle prévoit ne saurait être mise en œuvre « que dans la mesure où elles sont nécessaires pour faire face aux conséquences […] de la propagation du covid-19 » de sorte que l’on peut imaginer que le délai de prolongation soit d’un commun accord d’une durée inférieure.  

Cette demande de prolongation ne pourra toutefois être fondée que sur des motifs liés à l’impossibilité de respecter les délais d’exécution prévus au contrat ou à la charge manifestement excessive que représenterait la mobilisation des moyens nécessaires au respect desdits délais du fait de l’épidémie de covid-19. 

Ce faisant le législateur ne pose cependant pas une présomption de force majeure.  

Il laisse en effet à la charge des titulaires le soin de démontrer qu’ils sont dans l’incapacité de respecter les délais d’exécution fixés au contrat ou plus largement de poursuivre l’exécution du contrat pendant la période de crise sanitaire. 

L’ordonnance ne précise pas cependant si un décret d’application viendra compléter le dispositif et en régler les modalités.  

Or plusieurs questions demeurent en suspens pour les maîtres d’ouvrage comme pour les entreprises.  

D’abord en effet, quel formalisme respecter pour la notification de la demande par le titulaire de prolongation des délais d’exécution ?  

A cet égard, et sauf si des modalités différentes sont prévues au cahier des clauses particulières du marché, il nous semble que le titulaire devra a minima adresser une lettre recommandée avec avis de réception au maître d’ouvrage pour formuler sa demande de prolongation des délais d’exécution. 

Il sera judicieux dans la période actuelle de doubler cet envoi d’un e-mail, compte tenu des difficultés potentielles de remise du pli au maître d’ouvrage. 

Les modalités de la réponse que le maître d’ouvrage pourra apporter ne sont pas davantage envisagées.  

D’une part, il convient de s’interroger sur la forme que doit prendre la prolongation le cas échéant accordée.  

A cet égard, le CCAG-travaux prévoit expressément qu’en dehors des motifs de prolongation de délai qu’il liste expressément et qui peuvent donner lieu à l’émission d’un ordre de service, une prolongation des délais ne saurait intervenir que par voie d’avenant.  

Aussi, et sauf à ce qu’on considère que le motif de prolongation recoupe la catégorie des difficultés imprévues rencontrées en cours de chantier ce qui devrait être le cas, seul un avenant pourrait régulariser la prolongation de délai accordée par le maître d’ouvrage au titulaire.  

Or, et outre que la notion d’avenant est désormais totalement absente du Code de la commande publique, les contraintes de passation d’un tel avenant, en particulier au cours de la période de crise sanitaire liée au covid-19, ne rendront pas la tâche facile aux acheteurs publics.  

Ceci étant, on rappellera que la Haute Juridiction semblait se détacher du formalisme attaché au report de délais et consécutivement à l’application de pénalités de retard admettant « qu’il est toujours loisible aux parties de s’accorder, même sans formaliser cet accord par un avenant, pour déroger aux stipulations du contrat initial, y compris en ce qui concerne les pénalités de retard » (Conseil d’Etat, 17 mars 2020, Commune d’Issy-Les-Moulineaux, n° 308676).  

D’autre part, la question de l’éventuel silence gardé par le maître d’ouvrage sur la demande formée par le titulaire n’est pas envisagée.  

Peut-il valoir acceptation et dans ce cas, à compter de quelle date le titulaire sera-t-il fondé à considérer qu’il dispose d’un droit acquis à la prolongation ?  

Si au contraire le silence gardé par le maître d’ouvrage vaut refus, quelles voies de contestations s’offriront alors au titulaire ?  

L’on sait désormais que la matière contractuelle échappe aux délais et formalisme prescrits par l’article R. 421-1 du Code de justice administrative, le décret n° 2019-1502 du 30 décembre 2019 ayant précisé que « Le délai prévu au premier alinéa n’est pas applicable à la contestation des mesures prises pour l’exécution d’un contrat ».  

Aussi peut-on raisonnablement imaginer que le titulaire ne disposera alors que de la possibilité d’établir un mémoire en réclamation sur le fondement de l’article 50.1 du CCAG travaux, si tant est que le marché y fasse expressément référence, et qu’il devra en tout état de cause reprendre l’ensemble des réclamations lors de l’établissement du décompte général si elles n’ont pas été réglées.  

En tout état de cause, même en l’absence de prolongation régulièrement consentie par le maître d’ouvrage, le titulaire ne pourra se voir appliquer des pénalités de retard pour inexécution de ses obligations contractuelles dans les délais prévus au contrat.  

 

II – La levée des mécanismes de sanction du cocontractant en cas d’inexécution de ses engagements contractuels du fait du covid-19

 

  • Afin de compléter le dispositif, et ne pas pénaliser les titulaires des contrats de la commande publique qui se trouveront dans l’impossibilité, du fait du Covid-19, d’honorer leurs obligations contractuelles, le législateur a encore prévu des mesures propres à faire obstacle aux clauses contractuelles prévoyant des pénalités de retard à l’égard des titulaires. 

On rappellera en effet le caractère automatique des pénalités prévues au contrat lorsqu’un retard imputable au titulaire est objectivement constaté, mécanisme de réparation forfaitaire du préjudice que le non-respect par le titulaire d’un marché des délais d’exécution est susceptible de causer au pouvoir adjudicateur.   

  • L’ordonnance prévoit ainsi que les opérateurs économiques seront exemptés de l’application de pénalités contractuelles ou sanctions, telles que la résiliation pour faute, ou l’exécution aux frais et risques, lorsqu’ils se trouveront dans l’impossibilité, du fait du Covid-19, d’exécuter tout ou partie d’un contrat. 

La charge de la preuve de cette impossibilité pèse néanmoins sur le titulaire.  

Ce dernier devra en conséquence établir, notamment, « qu’il ne dispose pas des moyens suffisants ou que leur mobilisation ferait peser sur lui une charge manifestement excessive ». 

Il appartiendra en conséquence aux titulaires des marchés de justifier des difficultés d’approvisionnement rencontrées, ou encore, on peut l’imaginer, de la charge que représenterait la mobilisation de main d’œuvre supplémentaire en cas de réduction d’effectifs du fait de l’épidémie.   

Il est cependant permis de s’interroger sur le sort réservé aux entreprises de BTP qui motiveraient l’impossibilité d’exécuter leurs engagements contractuels, par les difficultés qu’elles rencontrent pour garantir la sécurité des ouvriers dans l’exécution de certaines tâches pour lesquelles les gestes dits « barrières », ne peuvent être assurés. 

En effet, à ce jour, si le gouvernement prône la continuité des activités de la construction, l’OPPBTP a pour sa part établi un guide de bonnes pratiques rappelant aux entreprises du BTP les mesures de sécurité à mettre en œuvre pour la poursuite d’activité et, soulignant la nécessité, en cas d’incapacité à s’y conformer, de stopper l’activité.   

Il ne fait aucun doute qu’en cas de différend entre maître d’ouvrage et titulaires sur les motifs invoqués à l’appui de la levée des mécanismes de sanction, les juridictions apprécieront le bien-fondé des pénalités appliquées par les acheteurs à l’aune de l’ordonnance.  

Rappelons enfin qu’à défaut pour les titulaires de justifier entrer dans les conditions fixées par l’ordonnance et notamment d’établir que l’impossibilité d’honorer leurs engagements contractuels trouvent son origine dans l’épidémie de Covid-19, ils ne pourront contester l’application des pénalités de retard éventuellement appliquées qu’au regard des moyens classiquement admis par le juge administratif.  

Ainsi, les opérateurs économiques qui n’auront pu contester l’imputabilité des retards, pourront notamment solliciter du juge qu’il modère les pénalités mises à leur charge.  

A cet égard on rappellera que le juge administratif n’accepte de moduler les pénalités à la baisse que lorsqu’elles sont manifestement disproportionnées au regard de l’objet du marché (CE, 29 déc. 2008, n° 296930, OPHLM de Puteaux) notamment par rapport aux pratiques observées pour des marchés comparables ou compte tenu des caractéristiques particulières du marché litigieux (CE, 19 juillet 2017, n° 392707, Société GBR Ile-de-France). 

Gageons toutefois que maîtres d’ouvrage et titulaires sauront faire bon usage des dispositions de l’ordonnance afin d’assurer la poursuite et la reprise de l’exécution des chantiers dans les meilleures conditions.

Par Marie Picard