Environnement, eau et déchet
le 23/06/2020
Julie CAZOU
Solenne DAUCÉ

Panorama des actualités juridiques relatives à la biodiversité

Selon les termes de l’article L. 110-1 du Code de l’environnement « On entend par biodiversité, ou diversité biologique, la variabilité des organismes vivants de toute origine, y compris les écosystèmes terrestres, marins et autres écosystèmes aquatiques, ainsi que les complexes écologiques dont ils font partie. Elle comprend la diversité au sein des espèces et entre espèces, la diversité des écosystèmes ainsi que les interactions entre les organismes vivants ».

Comme le souligne la Cour des comptes européenne dans son rapport n° 13/2020 du 5 juin 2020, « le déclin de la biodiversité à l’échelle mondiale est largement reconnu ». De nombreuses études concordent en effet sur la diminution alarmante de cette biodiversité, qui est la « conséquence directe de l’activité humaine »[1]. À cet égard, la Plateforme intergouvernementale scientifique et politique sur la biodiversité et les services écosystémiques (IPBES) alertait dans son dernier rapport sur le dangereux déclin de la biodiversité, la disparition des espèces se produisant à une vitesse sans précédent. L’IPBES affirme ainsi que « depuis 1900, l’abondance moyenne des espèces locales dans la plupart des grands habitats terrestres a diminué d’au moins 20 % en moyenne. Plus de 40 % des espèces d’amphibiens, près de 33 % des récifs coralliens et plus d’un tiers de tous les mammifères marins sont menacés »[2]. Un récent rapport dénommé L’Atlas des insectes 2020[3], publié le 9 juin 2020 par deux associations (Heinrich Böll Foundation et Friends of the Earth Europe), indique que 41 % des espèces d’insectes verraient leur population décliner et que, bien que ce déclin soit difficile à mesurer, la biomasse totale des insectes diminuerait de 2,5 % par an[5]. L’Europe n’échappe pas à cette tendance mondiale ; depuis 1990, la population d’oiseaux des champs a diminué de 34 % et celle des papillons de 39 %[4]. En France, le bilan annuel de 2019 de l’Observatoire national de la biodiversité relevait également que « les territoires de métropole et d’Outre-mer ne sont pas épargnés par l’érosion de la nature » et que « la disparition rapide de la diversité biologique est bien le résultat conjugué des activités humaines »[5].

Le Code de l’environnement français, en application notamment du droit de l’Union européenne, fixe un cadre législatif et règlementaire de la protection de la biodiversité. Ces dernières semaines, plusieurs actualités ont précisé l’étendue de la protection accordée tant aux espaces (I) qu’aux espèces (II).

 

I – Protection des espaces 

Plusieurs actualités ayant trait à la protection des espaces et des écosystèmes peuvent être relevées. Tout d’abord, les communes situées dans un site Natura 2000, un cœur de parc national ou un parc naturel marin pourront recevoir des dotations de l’Etat pour la protection de la biodiversité, les modalités de calcul de cette dotation ayant été précisées par décret (1). Par ailleurs, le Conseil d’État a rendu deux décisions portant sur les zones naturelles d’intérêt écologique, faunistique et floristique (2) et sur la création et la modification d’une réserve naturelle (3).

1 – Précisions sur la modalité de répartition de la dotation de l’Etat aux communes pour protection de la biodiversité

Décret n° 2020-606 du 19 mai 2020 relatif aux dotations de l’Etat aux collectivités territoriales et à la péréquation des ressources fiscales 

La loi de finances pour 2020, en son article 252 codifié à l’article L. 2335-17 du Code général des collectivités territoriales (CGCT), a introduit une dotation de l’Etat pour la protection de la biodiversité aux communes situées au sein d’un site Natura 2000, d’un cœur de parc national ou d’un parc naturel marin. Il est également indiqué que les communes concernées sont celles « de moins de 10 000 habitants dont le potentiel fiscal par habitant est inférieur au double du potentiel fiscal moyen par habitant des communes de la même strate démographique ».

La loi de finances dispose en outre que la dotation se compose de trois fractions et précise quelles sont les communes concernées :

  • Première fraction : 55 % du montant total de la dotation sera réparti entre les communes situées sur un site Natura 2000, à la condition que 75 % de leur territoire terrestre soit couvert par un tel site. Pour chaque commune, la dotation sera répartie « au prorata de la population et de la proportion du territoire terrestre de la commune couverte par un site Natura 2000 au 1er janvier de l’année précédente ».
  • Deuxième fraction : 40 % du montant total de la dotation sera réparti entre les communes situées en tout ou partie dans un cœur de parc national, défini par l’article L. 331-1 du Code de l’environnement comme les espaces terrestres et maritimes à protéger au sein du parc national, et ayant adhéré à la charte de ce parc. L’attribution individuelle est également déterminée en fonction de la population et de la superficie de chaque commune couverte par le cœur du parc, mais il est également précisé que l’attribution individuelle est triplée lorsque celui-ci a été créé il y a moins de 7 ans.
  • Troisième fraction : 5 % du montant total de la dotation sera réparti entre les communes situées en tout ou partie dans un parc naturel marin, en rapportant le montant de cette fraction au nombre de communes concernées.

Le décret n° 2020-606 du 19 mai 2020 précise à quelle date la situation des communes doit être appréciée, s’agissant de leur population et/ou de la proportion de leur territoire située dans un espace protégé. Ainsi, s’agissant de la deuxième fraction de la dotation, le décret en cause précise que la population et la proportion de territoire couvert par le cœur de parc national sont appréciées au 1er janvier de l’année précédant l’année de répartition, alors que l’adhésion à la charte du parc s’apprécie au 1er janvier de l’année au titre de laquelle la dotation est répartie. Toutefois, une exception est prévue pour la dotation attribuée au titre de l’année 2020 : la proportion du territoire située dans le cœur du parc national est appréciée au 1er janvier 2020, tandis que la condition de l’adhésion est appréciée au 30 avril 2020. Il est également précisé qu’est seul pris en compte le territoire terrestre. Concernant la troisième fraction, la localisation du territoire de la commune dans un parc naturel marin est appréciée au 1er janvier de l’année précédant l’année de répartition.

Le décret indique également que, pour la répartition de la dotation de protection de la biodiversité, la population et le potentiel fiscal devant être pris en compte sont calculés de la même manière que pour la répartition de la dotation globale de fonctionnement. Ainsi, la population « est celle qui résulte du recensement, majorée chaque année des accroissements de population dans des conditions définies par décret en Conseil d’Etat » (article L. 2334-2 CGCT) et le potentiel fiscal s’obtient en additionnant les éléments énumérés à l’article L. 2334-4 du CGCT.

2 – Absence de portée et d’effets de la création d’une ZNIEFF

CE, 3 juin 2020, Commune de Piana, n° 422182 

Par un arrêt Commune de Piana du 3 juin 2020, le Conseil d’Etat a eu l’occasion de se prononcer sur la portée juridique et les effets d’un acte portant création ou modification d’une zone naturelle d’intérêt écologique, faunistique et floristique (ZNIEFF).

Dans cette affaire, la commune de Piana avait demandé au Préfet de réduire le périmètre d’une ZNIEFF, dénommée « Capo Rosso, côte rocheuse et îlots », soutenant que l’existence d’une ZNIEFF sur son territoire limitait son droit à construire sur celui-ci. Le Préfet ayant refusé de faire droit à sa demande, la Commune sollicite l’annulation de ce refus auprès du juge.

L’identification des ZNIEFF provient de la réalisation par l’Etat de l’inventaire national du patrimoine naturel ; cet inventaire recense les « richesses écologiques, faunistiques, floristiques, géologiques, pédologiques, minéralogiques et paléontologiques » (article L. 411-1 A du Code de l’environnement). Certaines zones sont identifiées comme des ZNIEFF par le Muséum national d’histoire naturelle, sur proposition de la Direction régionale de l’environnement, de l’aménagement et du logement (DREAL) et après validation du Conseil scientifique régional du patrimoine naturel (CSRPN), lorsqu’elles « correspondent à « une ou plusieurs unités écologiques homogènes » qui abritent « au moins une espèce caractéristique, remarquable ou rare justifiant d’une valeur patrimoniale plus élevée que celle des milieux environnants » » ou lorsqu’elles constituent « des « ensembles naturels cohérents », plus riches en biodiversité et moins artificialisés que le territoire environnant »[6]. Comme l’indique le rapporteur public O. Fuchs dans ses conclusions sur cette affaire « Les ZNIEFF sont donc des données brutes de biodiversité qui sont retraitées et corrélées afin d’obtenir des zonages permettant d’identifier les territoires particulièrement riches en biodiversité ». L’existence d’une ZNIEFF peut être prise en compte lors de l’élaboration de certaines décisions d’urbanisme et d’aménagement (par exemple, article L. 101-2 Code de l’urbanisme, qui vise notamment la « protection des milieux naturels »).

Toutefois, si les ZNIEFF délimitent des zones de plus grand intérêt écologique, cela ne signifie pas qu’il s’agit de zones juridiquement protégées. A ce titre, le Conseil d’État relève que l’inventaire du patrimoine naturel et les ZNIEFF constituent un outil scientifique et sont « par eux-mêmes, dépourvus de portée juridique et d’effets ». La constitution d’une ZNIEFF, sa modification ou son refus de modification ne sont donc pas des actes faisant grief et sont donc insusceptibles de recours. Le Conseil d’Etat précise toutefois que les données portées à l’inventaire d’une ZNIEFF peuvent être contestées.

3 – Précisions sur les modalités d’extension d’une réserve naturelle nationale

CE, 3 juin 2020, Association Amis du banc d’Arguin du bassin d’Arcachon, n° 414018

L’association Amis du banc d’Arguin du bassin d’Arcachon demandait au juge d’annuler le décret n° 2017-945 du 10 mai 2017 portant extension et modification de la réserve nationale du banc d’Arguin. Le Conseil d’État s’est prononcé sur cette requête dans sa décision n° 414018 du 3 juin 2020, apportant des précisions sur les zones pouvant être classées en réserve naturelle et leur procédure de classement, son analyse facilitant leur création ou leur extension.

Le Conseil d’Etat énonce les zones susceptibles d’être classées en réserve naturelle en indiquant que « En vertu [des articles L. 332-1 et L. 332-3 du Code de l’environnement], peuvent être classées en réserve naturelle nationale les parties du territoire au sein desquelles la conservation des espèces et du milieu naturel revêt une importance écologique ou scientifique particulière ou qu’il convient de soustraire à toute intervention artificielle susceptible de les dégrader, ainsi que les zones qui contribuent directement à la sauvegarde de ces parties du territoire, en particulier lorsqu’elles en constituent, d’un point de vue écologique, une extension nécessaire ou qu’elles jouent un rôle de transition entre la zone la plus riche en biodiversité et le reste du territoire ».

Concernant l’extension du périmètre de la réserve naturelle, le juge en contrôle donc la conformité aux exigences de l’article L. 332-1 du Code de l’environnement, lequel énonce que doivent notamment être pris en compte pour la délimitation de la réserve la préservation d’espèces animales ou végétales et d’habitats en voie de disparition, la reconstitution de populations animales ou végétales ou de leurs habitats ou encore la préservation ou la constitution d’étapes sur les grandes voies de migration de la faune sauvage. A cet égard, le rapporteur public souligne l’importance de la protection accordée aux zones contribuant à la sauvegarde des terrains présentant une valeur écologique significative, « entérinant la théorie dite de « de l’écrin et des joyaux » [8] ». En l’espèce, afin de considérer que la décision d’extension de la réserve naturelle est fondée, le Conseil d’Etat relève d’une part que le périmètre retenu par le décret revêt une grande importance pour plusieurs espèces d’oiseaux, que la réserve est une voie de migration importante pour les oiseaux européens et que, d’autre part, les activités humaines à proximité perturbent cette avifaune (envols intempestifs, abandon des nids, perturbation de la reproduction, …). La protection accordée à cette zone est donc jugée justifiée.

Par ailleurs, le juge indique qu’il est possible de superposer l’aire géographique de deux catégories de zones protégées si cela n’est pas interdit pas un texte. En l’occurrence, la superposition d’une zone Natura 2000 et d’une réserve naturelle n’est pas interdite et donc possible.

Concernant les prescriptions assorties à l’acte de classement ou d’extension, il est en outre rappelé que, conformément aux dispositions de l’article L. 332-3 du Code de l’environnement, il est possible d’instaurer au sein d’une réserve des « zones de protection renforcée » dans lesquelles certaines activités sont interdites ou règlementées. En l’espèce, le décret attaqué restreint l’exercice de certaines activités, comme la pêche, la circulation des personnes et le mouillage des navires. Le Conseil d’Etat juge que, en raison des impacts de ces activités sur la biodiversité, ces restrictions sont justifiées.

Par ailleurs, l’association requérante soutenait que la décision attaquée était entachée de vices de procédure dès lors que le Conseil maritime de façade et le Conseil de gestion du parc naturel marin du bassin d’Arcachon n’avaient pas été consultés, contrairement aux exigences respectives des articles R. 332-2 et L. 334-4 du Code de l’environnement.

La consultation du Conseil maritime de façade avait en effet été rendue obligatoire quelques semaines avant l’adoption de l’acte en cause. Le Conseil d’Etat fait application de sa jurisprudence dite Danthony, aux termes de laquelle un vice de procédure n’est de nature à entacher d’illégalité la décision prise que s’il a été susceptible d’exercer, en l’espèce, une influence sur le sens de la décision prise ou s’il a privé les intéressés d’une garantie (CE, 23 décembre 2011, n° 335033). Cette jurisprudence peut également s’appliquer « en cas d’omission d’une procédure obligatoire, à condition qu’une telle omission n’ait pas pour effet d’affecter la compétence de l’auteur de l’acte ». En l’espèce, le Conseil d’Etat juge que la consultation du Conseil maritime de façade ne constitue pas une garantie et son omission n’a pas affecté la compétence de l’auteur de l’acte. Afin d’établir que cette omission n’a pas eu d’incidence sur le sens de la décision attaquée, le juge relève que l’ensemble des membres composant cette entité ont pu exprimer leurs observations dans le cadre d’autres consultations.

En outre, l’article L. 334-4 du Code de l’environnement prévoit, depuis le 1er janvier 2017, la consultation obligatoire du Conseil de gestion du parc national marin du bassin d’Arcachon « sur les questions intéressant le parc ». Il aurait donc dû être consulté sur l’extension de la réserve naturelle située au sein de ce parc, ce qui n’a pas été le cas en l’espèce. Le Conseil d’Etat considère néanmoins que la circonstance que l’entité qui assurait la gestion du parc national marin au moment de la phase de consultation ait été consultée suffit pour écarter ce moyen.

La régularité de la procédure est interprétée dans un sens favorable pour l’extension du périmètre du parc. Cette lecture compréhensive peut s’expliquer par la circonstance que les procédures de consultation non réalisées sont devenues obligatoires peu de temps avant l’adoption de la décision contestée et alors que la phase de consultation avait abouti.

 

 

II – Protection des espèces

Deux décisions, de la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) et du Conseil d’État, ont précisé les contours de la protection accordée à certaines espèces, ainsi que les modalités de mise en œuvre des dérogations pouvant être introduites à cette protection (1). Par ailleurs, la loi n° 2020-699 du 10 juin 2020 relative à la transparence de l’information sur les produits agricoles et alimentaires a introduit la possibilité de vendre des semences paysannes, ce qui permettraient de favoriser la biodiversité, certaines méthodes de production agricoles constituant l’un des motifs de l’érosion de la biodiversité (2).

 

1 – Actualités sur les dérogations espèces protégées 

La CJUE s’est prononcée sur l’étendue de la protection accordée aux espèces protégées (a) tandis que le Conseil d’État a précisé l’appréciation devant être portée sur les dérogations à cette protection (b).

(a) La protection des espèces s’étend aux zones de peuplement humain

CJUE, 11 juin 2020, Alianța pentru combaterea abuzurilor c. TM, UN, Direcția pentru Monitorizarea și Protecția Animalelor, C-88/19

Dans cette affaire, un Tribunal de première instance de Roumanie a posé une question préjudicielle à la Cour de justice de l’Union européenne portant sur l’interprétation de la directive 92/43/CEE du Conseil, du 21 mai 1992, concernant la conservation des habitats naturels ainsi que de la faune et de la flore sauvages, dite directive « habitats ».

Comme le rappelle la Cour, cette directive a pour objectif d’« assurer une protection stricte des espèces animales protégées » (§ 46). Ainsi, les Etats membres doivent adopter un cadre législatif complet sur la question et mettre en œuvre des mesures concrètes et spécifiques de protection. Notamment, aux termes de l’article 12 de la directive habitats, toute forme de capture ou de mise à mort intentionnelle d’un spécimen d’une espèce protégée est interdite « dans [son] aire de répartition naturelle ». Des dérogations à cette interdiction sont également prévues lorsqu’il n’existe pas « une autre solution satisfaisante et que la dérogation ne nui[t] pas au maintien, dans un état de conservation favorable, des populations des espèces concernées dans leur aire de répartition naturelle » (article 16). On indiquera que ces éléments ont été transposés en droit français aux articles L. 411-1 et suivants du Code de l’environnement.

En l’espèce, un loup fréquentait la résidence d’un habitant de la commune de Şimon en Roumanie et jouait avec ses chiens. Une association et un vétérinaire sont donc intervenus pour capturer cet animal et le transporter vers une réserve naturelle. Or aucune autorisation permettant de procéder à la capture de ce loup, qui fait partie des espèces protégées au titre de la directive habitats, n’avait été délivrée préalablement, ni même sollicitée.

Ainsi, la question se posait de savoir si la capture d’un spécimen d’une espèce protégée à proximité d’une zone de peuplement humain nécessitait une autorisation préalable et comment devait être interprétée la notion d’« aire de répartition » d’une espèce. Autrement dit, il s’agissait dans cette affaire de déterminer l’étendue de l’interdiction de capture d’un spécimen d’une espèce protégée.

La Cour a ici livré une interprétation large de la notion d’aire de répartition d’une espèce. En premier lieu, le juge européen relève que, en application de la directive habitats, les espèces sont protégées indépendamment du « lieu, de l’espace ou de l’habitat où [elles] se trouvent à un moment donné » (§31). En second lieu, elle indique que la protection des espèces animales n’est pas limitée aux sites protégés, tels que les parcs ou les réserves naturelles. Ainsi, l’aire de répartition naturelle d’une espèce est un concept dynamique qui correspond « à l’espace géographique dans lequel l’espèce animale concernée est présente ou s’étend dans le cadre de son comportement naturel » (§38) et « prend en compte les zones de toute nature que traverse cette espèce » (§41). Cette aire peut donc inclure des zones de peuplement humain.

Il en résulte qu’il est nécessaire de solliciter une autorisation pour réaliser la capture d’un loup à proximité d’établissements humains. En outre, la CJUE indique que ces autorisations de déroger à la protection accordée aux espèces doivent être délivrées « uniquement dans les conditions strictes énoncées à l’article 16, paragraphe 1 […] lequel doit être interprété de manière restrictive » (§46).

La Cour précise toutefois qu’ « il incombe […] à l’Etat membre concerné d’adopter des dispositions permettant, en cas de nécessité, l’octroi effectif et en temps utile de telles dérogations » (§57). Or la législation roumaine n’aurait pas permis d’obtenir une autorisation permettant d’agir dans un délai bref. Selon la Cour, cet élément devrait être pris en compte pour la détermination de la sanction applicable.

La CJUE livre donc une interprétation large de la protection pouvant être accordée aux espèces protégées et restrictive des dérogations à cette protection.

(b) Appréciation des raisons impératives d’intérêt public majeur permettant de déroger à la protection des espèces protégées

CE, 5 juin 2020, Société La Provençale, n° 425395 

Dans une décision du 5 juin 2020, le Conseil d’Etat s’est prononcé sur la notion de « raison impérative d’intérêt public majeur » qui, aux termes de l’article L. 411-2 I 4° c) du Code de l’environnement, peut permettre de déroger à la protection accordée aux espèces protégées en application de l’article L. 411-1 du même code.

Une association de protection de l’environnement sollicitait l’annulation d’un arrêté par lequel le Préfet a autorisé une société à déroger à la protection accordée aux espèces protégées pour la réouverture d’une carrière à ciel ouvert qui devrait permettre une production annuelle de 120 000 tonnes de marbres calcaires blancs. En effet, ce projet porterait atteinte à l’habitat, l’aire de reproduction ou aux spécimens de faune et de flore appartenant à 28 espèces protégées.

Dans un premier temps, le Conseil d’Etat rappelle le raisonnement qui doit être suivi par le juge lorsqu’il se prononce sur une dérogation espèces protégées accordées sur le fondement de l’article L. 411-2 I 4° c), c’est-à-dire fondée sur « l’intérêt de la santé et de la sécurité publiques ou pour d’autres raisons impératives d’intérêt public majeur, y compris de nature sociale ou économique, et pour des motifs qui comporteraient des conséquences bénéfiques primordiales pour l’environnement ».

Il est tout d’abord nécessaire d’apprécier s’il existe un intérêt public majeur, c’est-à-dire que « la réalisation d’un projet doit être d’une importance telle qu’il puisse être mis en balance avec l’objectif de conservation des habitats naturels, de la faune et de la flore sauvage ». Ce n’est que si l’existence de cet intérêt est caractérisée que le juge se penchera sur la question de la prise en considération des atteintes aux espèces protégées. Il lui appartiendra alors de déterminer si, « eu égard aux atteintes portées aux espèces protégées appréciées en tenant compte des mesures de réduction et de compensation prévues, […] d’une part, il n’existe pas d’autre solution satisfaisante et, d’autre part, cette dérogation ne nuit pas au maintien, dans un état de conservation favorable, des populations des espèces concernées dans leur aire de répartition naturelle ».

Dans un second temps, cette décision révèle le faisceau d’indices qui peut être utilisé pour apprécier si un projet répond à une raison impérative d’intérêt public majeur. En l’espèce, pour considérer qu’un tel intérêt existe, le Conseil d’Etat se fonde sur le nombre d’emplois créés par le projet et sur la situation de l’emploi dans le Département en question, sur la politique économique européenne dans laquelle il s’inscrit, sur la disponibilité de la matière extraite et sur la contribution du projet à l’existence d’une filière extractive.

Il est intéressant de noter que, si le rapporteur public proposait la même grille d’analyse que celle retenue par la juridiction, il concluait à l’absence de raison impérative d’intérêt public majeur. Il considérait en effet que, si les caractéristiques et la nature du projet sont de nature à constituer une raison impérative d’intérêt public majeur, « nous peinons à trouver dans les pièces du dossier […], des éléments permettant d’établir ce qu’avancent tant la société que la ministre ou de leur conférer une vraisemblance suffisante »[9].

 

2 – Rôle essentiel de l’agriculture dans la protection de la biodiversité

 

Rapport 13/2020 de la Cour des comptes européenne, Biodiversité des terres agricoles : la contribution de la PAC n’a pas permis d’enrayer le déclin, 5 juin 2020

Loi n° 2020-699 du 10 juin 2020 relative à la transparence de l’information sur les produits agricoles et alimentaires

L’agriculture a un important rôle à jouer dans la protection de la biodiversité. C’est ce que rappelle la Cour des comptes européenne, qui a publié le 5 juin 2020 un rapport intitulé Biodiversité des terres agricoles : la contribution de la PAC n’a pas permis d’enrayer le déclin, dans le cadre duquel elle se penche sur les incidences de la Politique agricole commune (PAC) sur la biodiversité sur la période 2014-2020 (a). En France plus particulièrement, la vente de semences paysannes a été autorisée dans un cadre restreint, ce qui pourrait avoir des effets bénéfiques sur la biodiversité (b).

(c) L’inefficacité de la PAC face au déclin de la biodiversité

En Europe, « l’intensification agricole reste l’une des principales causes de la perte de biodiversité et de la dégradation des écosystèmes » (§3 du rapport). La stratégie en faveur de la biodiversité à l’horizon 2020 prévoit donc d’étendre les surfaces agricoles couvertes par des mesures de biodiversité au titre de la PAC.

La Cour des comptes constate cependant que les mesures de la PAC sensées favoriser la biodiversité ont dans la pratique un impact « négatif […], limité ou inconnu » (§ 77). Concernant par exemple les paiements directs aux agriculteurs, dont le versement est soumis au respect d’exigences environnementales, la Cour considère que « la grande majorité des régimes de paiements directs dans l’UE n’ont pas d’impact direct mesurable sur la biodiversité des terres agricoles » (§ 40). En outre, la Cour note la faiblesse des indicateurs visant à mesurer objectivement l’impact des mesures de la PAC sur la biodiversité, notamment parce qu’ils ne sont pas suivis par certains Etats-membres.

Il est également reproché aux Etats-membres de ne pas avoir mis en œuvre l’ensemble des outils de protection de la biodiversité de la PAC qu’ils avaient à disposition, favorisant notamment les options les moins protectrices de la biodiversité. Par ailleurs, la Cour observe que, s’agissant des mesures de développement rural comme l’aide à l’agriculture biologique, les agriculteurs tendent à opter pour les solutions les moins exigeantes en termes de biodiversité.

La Cour recommande alors notamment de mettre en place des indicateurs fiables permettant de mesurer les impacts des politiques agricoles sur la biodiversité, de renforcer la contribution des paiements directs à la biodiversité des terres agricoles et d’accroître la contribution du développement rural à la biodiversité des terres agricoles.

La Commission européenne et les États-membres travaillent en ce moment à la PAC 2021-2027, ces derniers préparant l’élaboration de la déclinaison de la PAC au niveau national, soit le plan stratégique national relatif à la PAC. Il leur appartient donc de prendre en compte les remarques formulées par la Cour des comptes européenne.

(b) Introduction de la possibilité de vendre des semences paysannes

Au niveau national, il peut être souligné que la loi n° 2020-699 du 10 juin 2020 relative à la transparence de l’information sur les produits agricoles et alimentaires autorise la vente de semences non inscrites au catalogue officiel, ou semences paysannes, aux « utilisateurs finaux non professionnels ne visant pas une exploitation commerciale de la variété » (article 10 de la loi – article L. 661-8 du Code rural et de la pêche maritime), ce qui peut donc concerner les jardiniers amateurs ou les collectivités territoriales. Selon la présidente de la commission développement durable de l’assemblée nationale, il s’agirait d’un « grand pas pour la biodiversité ».

On entend par semences paysannes les variétés relevant du domaine public qui ne sont pas inscrites au Catalogue officiel des variétés dont les semences peuvent être commercialisées, c’est-à-dire les semences traditionnelles ou nouvelles. Les travaux parlementaires indiquent que « Compte tenu de la charge financière et de la complexité administrative que représente l’inscription au catalogue officiel d’une semence, de nombreuses variétés ne sont pas commercialisées mais sont entretenues par des jardiniers amateurs qui contribuent au maintien de la biodiversité »[10].

Cependant, les agriculteurs professionnels ne pourront pas acquérir de semences paysannes, limitant l’impact que pourrait avoir cette mesure sur la protection de la biodiversité. En outre, la Cour des comptes européenne indiquait dans son rapport du 5 juin 2020 que la diversification des cultures, qui impose à certains agriculteurs de cultiver plus d’un type de végétaux, est « la mesure de verdissement qui produit le moins d’effets bénéfiques pour l’environnement » (§ 54) dès lors qu’elle « entraîne rarement un changement dans les pratiques de gestion des terres » (§ 54).

 

Par Solenne Daucé et Julie Cazou

[1] IPBES, Le dangereux déclin de la nature : Un taux d’extinction des espèces « sans précédent » et qui s’accélère, Communiqué de presse [consultable ici : https://ipbes.net/news/Media-Release-Global-Assessment-Fr].

[2] Ibidem. Résumé du rapport en français [consultable ici : https://www.afbiodiversite.fr/sites/default/files/resume-IPBES_fr.pdf].

[3] Heinrich Böll Foundation, Friends of the Earth Europe, Insect Atlas 2020, Facts and figures about friends and foes in farming, 9 juin 2020 [consultable ici : http://www.foeeurope.org/sites/default/files/biodiversity/2020/insect_atlas.pdf].

[4] Ibidem, p. 13.

[5] Cour des comptes européenne, rapport n° 13/2020 du 5 juin 2020, §3-4.

[6] Observatoire national de la biodiversité, La nature sous pression, pourquoi la biodiversité disparait ?, 2019 [consultable ici : http://indicateurs-biodiversite.naturefrance.fr/sites/default/files/bilan_2019_onb.pdf].

[7] Conclusions du rapporteur public O. Fuchs.

[8] Voir les conclusions du président Genevois sur CE, 2 octobre 1981, Société agricole foncière solognote, n° 20835, au Recueil.

[9] Conclusions du rapporteur public O. Fuchs, CE, 5 juin 2020, Société La Provençale, n° 425395.

[10] Rapport n° 2441, fait au nom de la Commission des affaires économiques sur la proposition de loi relative à plusieurs articles de la loi pour l’équilibre des relations commerciales dans le secteur agricole et alimentaire et une alimentation saine, sûre et durable (n° 1786), de Mme Barbara Bessot Ballot.