le 11/07/2018

Obligation de suspendre la signature du contrat et preuve de l’introduction du recours

CE, 25 juin 2018, Société Hospitalière d’assurances mutuelles (SHAM), req. n° 417734

Par une ordonnance en date du 25 juin 2018, le Conseil d’État a mis un terme aux positions divergentes des Tribunaux administratifs sur la question de savoir si la notification d’un référé précontractuel au pouvoir adjudicateur devait, ou non, être accompagnée d’une preuve du dépôt de la requête devant le Tribunal pour être regardée comme régulière, et pour emporter la suspension de la signature du contrat.

Le Conseil d’État était saisi en cassation d’une ordonnance du tribunal administratif de Toulon qui n’était pas passée inaperçue et que certains avait pour le moins jugé audacieuse. Le Tribunal administratif de Toulon avait en effet considéré qu’un centre hospitalier ne méconnaissait pas son obligation de suspendre la signature du contrat s’il le signait après avoir été averti par le candidat évincé de ce qu’un référé précontractuel avait été introduit mais sans toutefois que n’y soit adjoint la preuve de ce que le recours avait réellement été introduit.
Le Tribunal rappelait en effet que l’obligation de suspendre la signature du contrat pesait sur le pouvoir adjudicateur à compter, « soit de la notification au pouvoir adjudicateur du recours par le représentant de l’État ou son auteur agissant conformément aux dispositions de l’article R. 551-1 du Code de justice administrative, soit de la communication de ce recours par le greffe du Tribunal administratif ». Et il jugeait alors que, faute pour la société d’avoir envoyé l’accusé de réception du dépôt de recours délivré automatiquement par l’application Télérecours lors de la notification de son recours au Centre hospitalier, le référé précontractuel ne pouvait être regardé comme régulièrement notifié au sens des dispositions de l’article R. 551-1 du Code de justice administrative. Et il en concluait que le Centre hospitalier avait donc légalement pu signer la contrat en l’absence de notification du recours par le Tribunal administratif et de notification régulière par l’auteur du recours (TA Toulon, ordonnance, 15 janvier 2018, Société Hospitalière d’assurances mutuelles, req. n° 1704809).
La décision pouvait se comprendre, d’un certain point de vue. On sait que l’article L. 551-4 du code de justice administrative (CJA) indique que « le contrat ne peut être signé à compter de la saisine du Tribunal administratif et jusqu’à la notification au pouvoir adjudicateur de la décision juridictionnelle ». Et l’on sait aussi que l’article R. 551-1 du CJA dispose que « le représentant de l’État ou l’auteur du recours est tenu de notifier son recours au pouvoir adjudicateur ». Or, cette formule pouvait effectivement suggérer que c’est bien le recours qui doit être notifié au pouvoir adjudicateur, c’est-à-dire la preuve de ce que le candidat évincé à véritablement introduit un recours. Ce raisonnement participe du reste d’une bonne logique : si une telle obligation n’existait pas, un requérant pourrait abusivement retarder la signature d’un marché en notifiant au pouvoir adjudicateur une requête pourtant toujours pas adressée au tribunal.
D’un autre point de vue, retenir l’existence d’une telle obligation, comme avait pu le faire le Tribunal administratif de Toulon, était une manière d’introduire une condition supplémentaire à la suspension de la signature dès lors que les dispositions précitées n’indiquaient pas expressément que la réalité du recours devait être démontrée pour qu’il soit regardé comme notifié. C’est du reste en ce sens que quelque semaine plus tard, le tribunal de Rouen avait jugé que « les dispositions de l’article R. 551-1 du Code de justice administrative n’impose pas que la transmission au pouvoir adjudicateur par la société dont l’offre est rejetée de son recours en référé précontractuel soit accompagnée de l’accusé de réception du dépôt et de l’enregistrement de sa requête au tribunal administratif délivré par l’application télérecours […] Dans ces conditions, la métropole n’est pas fondée à soutenir que la société Gallis ne lui a pas notifié son recours en référé précontractuel dans les conditions prévues à l’article R. 551-1 du Code de justice administrative » (TA Rouen, ordonnance, 24 mai 2018, Société Gallis, req. n° 1801446).
Et c’est cette seconde position que le Conseil d’État a retenue lorsque, saisi de la question à l’occasion du pourvoi contre l’ordonnance du tribunal administratif de Toulon, il a dû se prononcer. Par une ordonnance du 25 juin 2018, le Conseil d’État a en effet jugé que « ni les dispositions précitées [l’article R. 551-1 du CJA], ni aucune autre règle ou disposition ne subordonnent l’effet suspensif de la communication du recours au pouvoir adjudicateur à la transmission, par le demandeur, de documents attestant de la réception effective du recours par le Tribunal ». Et faisant application de ce principe à l’espèce, le Conseil d’État a indiqué « qu’en exigeant ainsi que le demandeur apporte au pouvoir adjudicateur la preuve de la saisine du Tribunal par la transmission de l’accusé de réception du dépôt et de l’enregistrement de la demande délivré par télérecours, et en déduisant qu’en l’absence d’une telle production, le centre hospitalier intercommunal n’avait pas méconnu l’obligation qui pesait sur lui de suspendre la signature du marché et en jugeant que, par suite, le référé contractuel était irrecevable, le juge des référés a entaché son ordonnance d’erreur de droit ».
Le Conseil d’État apporte ainsi une réponse claire et sans équivoque à ce débat : la preuve du dépôt du référé précontractuel devant le Tribunal administratif n’a pas à être jointe à la notification du recours au pouvoir adjudicateur pour qu’elle produise ses effets c’est-à-dire pour que l’obligation de suspendre la conclusion du contrat s’impose au pouvoir adjudicateur.