le 22/11/2018

Nouveaux apports à la jurisprudence Département du Tarn-et-Garonne

CE, 9 novembre 2018, Société Cerba et Delapack Europe B.V., n° 420654

Par cette nouvelle décision, le Conseil d’Etat complète, pour mieux l’affiner, sa jurisprudence du 4 avril 2014, Département Tarn-et-Garonne (n° 358994).

Cette fois-ci, le litige portait sur l’attribution du marché public de la Caisse nationale d’assurance maladie des travailleurs salariés (CNAMTS), devenue la Caisse nationale d’assurance maladie (CNAM), relatif aux kits de dépistage et d’analyses des tests du cancer colorectal destinés à la population cible d’un programme.

Ce marché, d’un montant de 147 millions d’euros, a été attribué à un groupement momentané d’entreprises (GME) composé de deux sociétés néerlandaises, à la suite du rejet des offres de deux autres groupements candidats considérées comme irrégulières.

Par des actions sur le fondement de la jurisprudence Département Tarn-et-Garonne, les groupements évincés ont sollicité du Tribunal administratif de Paris de résilier ou d’annuler le marché, ce que le Tribunal a rejeté par deux jugements du 30 septembre 2016.

En appel, la Cour administrative d’appel de Paris a annulé le marché avec effet au 1er août 2018 (cinq mois avant son terme) par un arrêt du 24 avril 2018 contre lequel la CNAM et le groupement attributaire se sont pourvus en cassation devant le Conseil d’Etat.

La décision rendue par le Conseil d’Etat présente plusieurs apports.

  • Une erreur sur les conditions de prise en compte de la TVA ne constitue pas un vice du consentement

En l’espèce, le groupement attributaire n’avait pas présenté les prix unitaires des kits de dépistage en y incluant la taxe sur la valeur ajoutée (TVA) alors que, conformément à l’article 283 du Code général des impôts, il revient à la CNAM de verser le montant de la TVA sur ces produits.

Cette présentation du prix a également conduit la CNAM à sous-estimer le coût effectif du marché et à dépasser les crédits budgétaires alloués au marché.

Pour autant, ces circonstances, de même que l’absence d’offres concurrentes susceptibles de constituer des points de comparaison, n’ont pas vicié le consentement de la CNAM. Ainsi que l’expose le rapporteur public, M. Gilles Pélissier, dans ses conclusions sous la décision commentée, l’erreur sur le régime fiscal des prix résulte du fait de la CNAM elle-même, et rien ne démontre que l’attributaire ait procédé à des manœuvres dolosives en vue d’induire la CNAM en erreur sur le régime fiscal à appliquer.

Dans ces conditions, le Conseil d’Etat a jugé qu’aucun vice du consentement soulevé par les requérantes ne pouvait être retenu par la Cour.

  • La notion d’atteinte excessive à l’intérêt général de l’annulation d’un marché doit être appréciée au regard du contexte

Dans la décision commentée, la Cour administrative d’appel de Paris avait estimé que l’annulation du marché ne portait pas une telle atteinte excessive dès lors que d’autres tests de dépistage existants seraient aisément accessibles et, d’autre part, que la campagne de prévention arrivait à son terme sans avoir obtenu les résultats escomptés.

Toutefois, le Conseil d’Etat a jugé que ces éléments n’étaient pas vérifiés par les pièces du dossier « compte tenu de l’enjeu majeur de santé publique que représente le dépistage du cancer colorectal, qui est l’un des cancers les plus meurtriers en France, [et] à l’objet du marché litigieux, qui s’inscrit dans le cadre d’un vaste programme de santé publique, et aux conséquences de l’interruption du service sur l’efficacité du programme de dépistage ».

Le Conseil d’Etat a considéré, dans ce contexte, que l’annulation du marché portait une atteinte excessive à l’intérêt général et a annulé l’arrêt de la Cour administrative d’appel.

  • Le candidat évincé pour irrégularité de son offre est recevable à agir mais il doit soulever des moyens en rapport direct avec son éviction.

Tout d’abord, les référés précontractuels introduits par les groupements évincés n’étaient pas de nature à rendre irrecevables leurs actions successives sur le fondement de la jurisprudence Département Tarn-et-Garonne. Le rejet de leurs demandes en référé a été motivé par le fait que l’irrégularité de leurs offres faisait obstacle à ce qu’ils soient regardés comme lésés par les manquements invoqués.

Concernant l’action en contestation de validité du contrat, le caractère irrégulier de l’offre du candidat évincé n’est pas de nature à influencer son intérêt à agir. En revanche, s’agissant des moyens à invoquer, un tel candidat ne peut contester la régularité de l’offre retenue, mais seulement les motifs de rejet de leurs offres. En l’espèce, le Conseil d’Etat a jugé que le rejet des offres des deux groupements évincés était fondé au cas précis.

  • Le contenu d’un contrat n’est illicite que si son objet est contraire à la loi.

Principal apport de la décision commentée, le Conseil d’Etat a considéré que « le contenu d’un contrat ne présente un caractère illicite que si l’objet même du contrat, tel qu’il a été formulé par la personne publique contractante pour lancer la procédure de passation du contrat ou tel qu’il résulte des stipulations convenues entre les parties qui doivent être regardées comme le définissant, est, en lui-même, contraire à la loi, de sorte qu’en s’engageant pour un tel objet le cocontractant de la personne publique la méconnaît nécessairement ».

En l’espèce, le Conseil d’Etat a écarté les arguments soulevés par les groupements évincés sur le caractère prétendument illicite du contrat, portant sur le fait que les prix de l’attributaire ne comportaient pas la TVA, que le prix du marché dépassait les crédits alloués au marché et que le contrat méconnaissait des dispositions réglementaires.

En conséquence, le Conseil d’Etat confirme, dans la décision commentée, la régularité et le bien-fondé du jugement de première instance du Tribunal administratif de Paris.