le 06/09/2018

Le nouveau modèle de cahier des charges pour les concessions de distribution publique d’électricité

En cette rentrée 2018, nombreuses sont les collectivités concédantes, autorités organisatrices de la distribution d’électricité (AODE), qui vont reprendre ou entamer des négociations en vue de renouveler leurs contrats de concession d’électricité, signés pour la grande majorité au cours des années 1990 pour des durées allant de 25 à 30 ans. De nombreux contrats viendront ainsi à échéance au cours des prochains mois.

Ces négociations s’inscriront – pour la quasi-totalité de ces AODE – dans un cadre national reposant sur un « modèle » de contrat de concession adopté conjointement, fin décembre 2017, par la Fédération nationale des collectivités concédantes et régies (FNCCR), France urbaine, Enedis et EDF[1]. Ce modèle national adopté vient clôturer près de deux ans de négociations entre les instances représentatives des autorités concédantes (FNCCR et France Urbaine) et les sociétés concessionnaires Enedis et EDF[2]. Il est assorti d’un accord-cadre conclu entre ces mêmes entités.

Diffusé en début d’année 2018 aux autorités concédantes, quelques-unes d’entre elles (celles dont les contrats étaient venus à expiration) ont d’ores et déjà renouvelé leur contrat en s’appuyant sur ce nouveau modèle, tandis que d’autres vont progressivement analyser ce nouveau modèle pour en comprendre les enjeux et envisager le renouvellement de leur contrat une fois celui-ci arrivé à son terme, voire de façon anticipée ainsi que les y incite l’accord-cadre susvisé.

Ce Focus de rentrée est donc l’occasion de présenter ce nouveau modèle de contrat de concession qui sera, dans les mois à venir, au cœur des négociations entre les autorités concédantes et leurs sociétés concessionnaires Enedis et EDF.

L’adoption d’un nouveau « modèle » de contrat de concession d’électricité

Jusqu’à présent les concessions l’électricité reposaient sur un « modèle » national élaboré en 1992, de manière conjointe entre la FNCCR et EDF (alors Etablissement public). Bien qu’ayant un caractère supplétif[3], ce modèle avait été adopté par la quasi-totalité des autorités concédantes de l’époque au gré du renouvellement de leurs contrats de concession entre 1992 et 1995. 

Ce modèle national avait été actualisé en 2007 afin de l’adapter avec les textes législatifs et réglementaires adoptés depuis 1992[4]. Cela étant, nombre d’AODE n’avaient pas procédé à cette mise à jour.

Ces dernières années ce modèle de 1992 était devenu pour certaines clauses obsolète au vu des nombreuses évolutions que le paysage français de l’énergie a connu ces dernières années (ouverture du marché à la concurrence de la fourniture d’électricité, changement de statut d’EDF, publication de la loi n° 2015-992 du 17 août 2015 relative à la transition énergétique pour la croissance verte, tarifs sociaux de l’énergie, chèque énergie…).

C’est dans ce contexte qu’après de longues négociations, la FNCCR, France urbaine, Enedis et EDF ont adopté, le 21 décembre 2017, un nouveau modèle de contrat de concession pour le service public du développement et de l’exploitation du réseau public de distribution d’électricité de la fourniture d’énergie électrique aux tarifs réglementés de vente. Ce nouveau modèle se compose précisément d’un accord-cadre quadripartite, d’un modèle de convention de concession, d’un modèle de cahier des charges et des modèles d’annexes à ce dernier. 

L’accord-cadre quadripartite qui accompagne ce nouveau modèle de contrat encourage une renégociation rapide et coordonnée des contrats en vigueur, soit dès 2018, avec pour objectif, dans la mesure du possible, que les contrats soient renouvelés selon le nouveau modèle en vue d’une entrée en vigueur au plus tard le 1er juillet 2021, et ce indépendamment de l’échéance contractuelle des contrats de concession en cours. Cela requerrait donc des AODE concernées par cette dernière situation de résilier leur contrat de concession et ses actes attachés, en cours d’exécution.

Le rôle déterminant des AODE dans les négociations et dans la définition des enjeux énergétiques des territoires

L’adoption de ce nouveau modèle ouvre ainsi la voie à de nombreuses renégociations de contrats de concession d’électricité qui devront être menées par les AODE.

Dans ce contexte, il est important de rappeler le rôle fondamental des AODE, propriétaires des réseaux de distribution d’électricité, en charge d’organiser ce service public local qui recouvre deux missions distinctes (distribution et fourniture) comme défini à l’article L.121-2 du Code de l’énergie.

L’article L. 2224-31 du Code général des collectivités territoriales (CGCT) fonde la compétence de ces AODE en précisant qu’en leur qualité d’autorités concédantes, elles négocient et concluent les contrats de concession. Le rôle des AODE dans les négociations est ainsi fondamental d’autant qu’elles ne disposent pas du choix du mode de gestion (en régie ou en concession) de leur service public ni, en l’état du monopole légal dont il dispose, du choix de leur gestionnaire de réseau, ni encore de la tarification de ces activités de service public, fixée nationalement.

Si la porte est étroite, les AODE, qui sont des communes, ou leurs établissements publics de coopération (syndicats intercommunaux ou mixtes – souvent à taille départementale – ou métropoles) ou encore des départements (seuls deux l’exerçant aujourd’hui) devront donc cerner avec attention les enjeux en matière de distribution d’électricité et de fourniture d’électricité sur leurs différents territoires et ne pas renoncer par avance à exercer ce pouvoir de discussion, inhérent à leurs missions d’AODE et à la liberté contractuelle qui est la leur comme pour toute collectivité locale.

Pour la plupart d’entre elles, ces enjeux sont maîtrisés, puisque les AODE sont très souvent investies dans leur mission d’autorité concédante et exercent le contrôle du bon accomplissement des missions de service public de leurs concessionnaires.

Ces AODE sont par ailleurs maître d’ouvrage de certains travaux sur le réseau de distribution dans les zones rurales, tandis que la maîtrise d’ouvrage des investissements sur le réseau est assurée par le concessionnaire, gestionnaire du réseau de distribution, en zone urbaine, les AODE conservant toutefois la maîtrise d’ouvrage des travaux d’enfouissement des réseaux pour des raisons dites esthétiques. Ou encore des spécificités ont pu être négociées par certaines AODE pour porter la maîtrise d’ouvrage de certains travaux.

Au vu de ce contexte, le modèle national constituera sans nul doute un document de référence sur lequel les AODE comme les concessionnaires pourront s’appuyer durant leurs négociations. Pour autant, le renouvellement de chaque contrat devra laisser place à des négociations locales[5] adaptées aux enjeux de chaque territoire.

De surcroît, ce modèle ne saurait être figé puisqu’il devra nécessairement s’adapter aux évolutions législatives et réglementaires encore à venir dans le secteur de la distribution et de la fourniture d’électricité aux tarifs réglementés de vente (on pense par exemple déjà au projet de loi portant évolution du logement, de l’aménagement et du numérique (ELAN) toujours en discussions au Parlement dont le projet issu du Sénat comporte des dispositions sur le sujet des colonnes montantes[6], aux offres de raccordement intelligentes[7]  ou encore à l’avenir des TRV d’électricité à la suite de l’arrêt du Conseil d’Etat du 18 mai 2018, Société Engie et Association nationale des opérateurs détaillants en énergie (Anode), n° 413688, 414656 (cf. notre commentaire dans la LAJEE n°40 – Juin 2018).

Une étape préalable indispensable à toute discussion : le bilan de fin du contrat de concession en cours

Si la négociation doit viser à aboutir à la rédaction d’un nouveau contrat de concession partagé entre l’autorité concédante et ses concessionnaires, qui sera la base d’une nouvelle relation contractuelle dans le cadre de laquelle le service concédé s’exécutera sur les prochaines années, elle ne doit pas faire oublier une étape préalable essentielle, celle de l’analyse critique de la concession en cours afin d’en dresser un bilan global au plan technique, juridique et financier.

Ce bilan global (qu’on appelle usuellement le bilan de fin de contrat) est l’étape indispensable pour déterminer le « T0 » du futur contrat. Il doit permettre à l’AODE d’identifier les forces et les faiblesses de son contrat de concession actuel en vue d’entamer de nouvelles négociations avec ses concessionnaires.

Le volet juridique du bilan de fin de contrat de concession devra ainsi comporter une analyse juridique des clauses importantes du contrat de concession (obligations des concessionnaires, fin de contrat) de manière à déterminer quels sont les sujets qui devront plus particulièrement faire l’objet de négociations avec les concessionnaires. Il établira les éventuelles difficultés survenues dans l’exécution de la concession pour les éviter à l’avenir. Il déterminera l’état de la répartition de la maîtrise d’ouvrage, dont la vision diverge parfois entre AODE et gestionnaire du réseau.

Au plan technique, le bilan devra dégager les forces et faiblesses en termes de patrimoine et de qualité du service (qualité de la desserte et des prestations du gestionnaire du réseau de distributeur, contenu de l’offre du fournisseur aux tarifs réglementés de vente…).

Enfin, le partage entre l’AODE et les concessionnaires d’un état des lieux financier de l’activité concédée, y compris un état comptable du patrimoine et des origines de son financement, outre le stock des provisions pour renouvellement, en fin de contrat constituent un point central dans les échanges en vue de la conclusion d’un contrat de concession équilibré entre autorité concédante et concessionnaires. Il en va également ainsi du niveau des redevances de concession et autres ressources de l’autorité concédante (« article 8 » du cahier des charges de concession au sens du modèle de 1992) issues du contrat de concession en cours, afin de les confronter aux flux financiers issus du nouveau modèle.

Les enjeux de négociation

Une fois l’analyse de l’existant et de l’état des lieux (forces et faiblesses) de la concession réalisée, l’AODE sera à même de déterminer les axes d’amélioration de la concession qu’elle attend, en cohérence avec les enjeux identifiés sur son territoire.

Naturellement, les évolutions du nouveau modèle national concernent largement ces enjeux. Les sujets de négociation sont de ce fait nombreux. Nous en énumèrerons quelques-uns, sans être exhaustives.

Il en va tout d’abord de la durée du contrat : compte tenu du régime dérogatoire du mode de financement de ces activités de service public d’une part, et de la circonstance que le modèle n’impose pas le retour gratuit des ouvrages concédés en fin de contrat d’autre part, cette durée pourrait être courte. Telle n’est pas la recommandation du nouveau modèle. Chaque AODE devra apprécier l’opportunité d’une durée courte, moyenne ou longue à l’aune des contreparties qui lui seront consenties dans cette négociation et de sa perception de l’évolution possible des enjeux de ces activités de service public dans le temps. Et une durée moyenne ou longue mériterait de porter une attention particulière aux modalités d’évolution de la concession afin de permettre de l’adapter dans le temps (clause de revoyure), de même qu’aux clauses de fin de contrat.

Le périmètre des ouvrages concédés et notamment les modalités d’inventaire des biens (bien de retour, biens de reprise et biens propres), leur valorisation au début, en cours et au terme du contrat et le suivi de leurs origines de financement sont également des sujets majeurs pour que les AODE conservent la maîtrise de cette activité concédée dont les ouvrages sont leur propriété. 

De plus, le modèle introduit des nouvelles dispositions intéressantes concernant les investissements au bénéfice de la concession. Les AODE auront donc à établir un Schéma Directeur des Investissements (SDI) décliné en Programmes Pluriannuels d’Investissements successifs (PPI) et Programmes annuels. Ce SDI constitue ainsi une avancée importante, il est vrai en contrepartie de l’abandon, proposée dans le nouveau modèle, de la constitution pour l’avenir de provisions pour renouvellement des immobilisations et du maintien, entre les mains du concessionnaire, de l’usage du stock des provisions pour renouvellement constituées. A minima, la gouvernance de ces SDI, PPI et Programmes annuels doit être discutée pour y faire une large place à la validation par l’AODE des choix d’investissements et y flécher, pour le sanctuariser, le stock des provisions pour renouvellement qui aura été acté pour demeurer acquis aux usagers qui les ont financées, ou encore pour en garantir le suivi de la bonne exécution et la capacité à sanctionner sa non-exécution.

Le sujet des données est un autre sujet de négociation fondamental, à l’heure de la transition et de la planification énergétiques et du développement des projets de production d’énergies renouvelables dans les territoires, sous maîtrise d’ouvrage publique (directe ou indirecte) comme privée. Sur ce point, le nouveau modèle comprend des dispositions relatives aux données qui doivent être mises à disposition par les concessionnaires à l’autorité concédante et utiles à l’exercice de leurs compétences qui renvoient à des accords à parfaire. Un travail ad hoc doit être mené par les AODE en fonction de leurs ambitions territoriales.

Un autre sujet important concerne évidemment la répartition de la maîtrise d’ouvrage des travaux à réaliser sur le réseau (développement, raccordement, enfouissement) selon les zones concernées et en tenant compte notamment de la réforme récente du dispositif d’aides à l’électrification rurale, ainsi que des évolutions à venir en matière d’usages (développement des énergies renouvelables, déploiement des bornes de recharge des véhicules électriques, etc.). Ce sujet est traité dans le modèle de cahier des charges (article 5), dans son Annexe 1 mais également dans l’accord-cadre national qui comporte de nouvelles propositions de répartition entre autorité concédante et concessionnaire. L’AODE devra ainsi apprécier si elle préfère le statu quo (maintien de son actuelle répartition de la maitrise d’ouvrage) ou une nouvelle répartition issue des propositions du nouveau modèle. Ce choix devrait pourtant pouvoir être librement discuté tant il porte sur l’exercice même du pouvoir d’autorité concédante et organisatrice de la distribution d’électricité.

Enfin, si la majorité des sujets de négociation concernent la mission de distribution d’électricité, l’AODE ne devra pas oublier de mener des négociations avec le concessionnaire en charge de la fourniture d’électricité aux tarifs réglementés de vente, mission qui fait partie intégrante du service public local de l’électricité tel que défini à l’article L.121-2 du Code de l’énergie. De ce point de vue, il pourrait être examinée l’opportunité d’élargir le contenu de l’offre de ce service public local en termes de prestations incluses et de niveau de qualité, afin que ce ne soit pas une offre à minima et donc en extinction, mais une offre dynamique visant à la maîtrise des factures (pilotage des usages, traitement de la précarité énergétique).

En définitive, ce nouveau modèle national de contrat de concession d’électricité doit d’abord offrir aux AODE l’opportunité de dresser un bilan éclairé de la concession en cours avant de décider des orientations souhaitées dans le nouveau contrat de concession, sans se précipiter.

Marie-Hélène PACHEN-LEFEVRE, Associée et Aurélie CROS, Avocate

 

[1] Cf. Communiqué de presse du 26 février 2018 par Territoire d’Energie (FNCCR): https://www.territoire-energie.com/article/electricite-nouveau-contrat-de-concession/ , Cf. communiqué de presse d’Enedis du 3 janvier 2018 https://www.enedis.fr/actualites/un-nouveau-modele-de-contrat-de-concession Cf. communiqué de presse de France Urbaine http://franceurbaine.org/cadre-concession-distribution-publique-fourniture-electricite-aux-tarifs-reglementes-vente-un-accord

[2] Cf. Article Les Echos paru le 21 juin 2016 : « Enedis et élus tentent de s’accorder sur leurs prochains contrats de concession »

[3] Cf. Instruction du 27 juillet 1993 relative à la révision des concessions de distribution publique d’énergie électrique. Projet de modèle de cahier des charges et de documents contractuels pour la concession à Electricité de France des distributions publiques d’énergie électrique 

[4] Ce document modèle dans sa version du 1er juillet 2007 est intitulé « Modèle de cahier des charges de concession pour le service public du développement et de l’exploitation du réseau de distribution d’électricité et de la fourniture d’énergie électrique aux tarifs réglementés ». Il a été mis à jour à la suite de la signature d’un Accord-cadre relatif à la mise à jour juridique du modèle de contrat de concession conclu par la FNCRR et EDF le 5 juillet 2007.  Cet accord-cadre incitait par ailleurs à la départementalisation des autorités concédantes : « Les parties ont, simultanément, retenu une évolution conventionnelle du modèle de 1992 du contrat de concession portant sur la départementalisation des autorités concédantes »

[5] Cf. l’Etude plus approfondie de Pierre Sablière : « Un nouveau modèle de cahier des charges pour la concession des distributions publiques d’électricité dans les trente ans à venir », Lexis Nexis – Energie – Environnement – Infrastructures n°7 – juillet 2018, étude 12

[6] Cf. Article 55 bis AA relatif aux colonnes montantes électriques du projet de loi (Texte n° 145, 2017-2018 modifié par le Sénat le 25 juillet 2018

[7] Délibération de la Commission de régulation de l’énergie du 8 février 2018 portant proposition d’arrêté sur les principes généraux de calcul de la contribution versée au maître d’ouvrage des travaux de raccordement au réseau public de transport d’électricité