le 23/06/2020

Modification unilatérale d’une concession hydroélectrique et conditions d’indemnisation du concessionnaire

CAA Paris, 25 mai 2020, EDF c/ Etat, n° 18PA03961

Dans un arrêt du 25 mai 2020, la Cour administrative d’appel de Paris a apporté d’intéressantes précisions concernant le régime applicable aux modifications unilatérales apportées aux concessions hydroélectriques.

Il s’agissait en l’espèce d’un litige opposant la société Électricité de France (EDF) à l’Etat au sujet de la concession pour l’exploitation de l’énergie hydraulique des chutes de Salon et de Saint-Chamas, ayant fait l’objet d’une convention conclue le 22 novembre 1971 et approuvée par un décret du 6 avril 1972 approuvant la convention et le cahier des charges spécial des chutes de Salon et de Saint-Chamas, sur la Durance (départements des Bouches-du-Rhône, de Vaucluse et du Gard).

Les prescriptions techniques prévues au cahier des charges spécial de la concession, visant à limiter les incidences des rejets d’effluents sur le milieu aquatique de l’étang de Berre, ont été jugées insuffisantes par la Cour de justice de l’Union européenne qui, par un arrêt du 7 octobre 2004, a condamné la République française pour manquement à diverses dispositions relatives à la protection des milieux aquatiques.

Tirant les conséquences de cette décision, l’État a modifié unilatéralement le cahier des charges spécial des chutes de Salon et de Saint-Chamas, par un avenant approuvé par le décret n° 2006-1557 du 8 décembre 2006, en limitant les plafonds de volumes d’eau douce susceptibles d’être rejetés dans l’étang de Berre à 1 200 milliards de m3 par an et les plafonds d’apport de limons à 60 000 tonnes par an, des conditions sur la salinité de l’étang ayant également été introduites.

Estimant subir un préjudice du fait de ces modifications des conditions d’exploitation des chutes, la société EDF a demandé en vain à l’État de lui verser une somme de 32 078 000 euros, augmentée des intérêts au taux légal, le cas échéant capitalisés, en réparation du préjudice qu’elle estimait avoir subi entre le 1er novembre 2007 et le 31 octobre 2013 du fait de l’entrée en vigueur du décret n° 2006-1557 du 8 décembre 2006 approuvant l’avenant n°1 au cahier des charges spécial des chutes de Salon et de Saint-Chamas, sur la Durance, paru au Journal Officiel du 9 décembre 2006.

Le tribunal administratif de Paris a rejeté la demande de la société EDF.

Saisie en appel, la Cour administrative d’appel de Paris a posé les conditions dans lesquelles une modification unilatérale d’une concession hydroélectrique pouvait donner lieu à indemnisation. L’arrêt relève ainsi qu’« une modification unilatérale des conditions d’exploitation d’une installation d’énergie hydroélectrique concédée par l’Etat, même lorsqu’elle porte sur le règlement d’eau annexé au cahier des charges et constitue ainsi une mesure de police, et qu’elle est motivée, comme en l’espèce, par une menace majeure pour le milieu aquatique, ouvre droit à indemnisation lorsqu’elle emporte une rupture de l’équilibre général de l’exploitation, voire une charge spéciale et exorbitante, hors de proportion avec l’objectif d’intérêt général qu’elle poursuit » (considérant n°7).

La société EDF faisait alors valoir que l’abaissement cumulé des plafonds de volume d’eau et de quantités de limons rejetés dans l’étang de Berre était la cause de la limitation de la production d’électricité par les installations de la concession de Salon et Saint-Chamas.

Toutefois, en l’espèce, la Cour administrative d’appel de Paris rejette les demandes de la société EDF estimant que celle-ci n’apportait « pas d’éléments suffisamment probants de nature à établir, ou a minima à présumer de façon convaincante, que le manque à gagner dont elle se prévaut résulterait des contraintes issues du décret du 8 décembre 2006 » (considérant n° 9). La Cour relève notamment que «  l’impact des opérations de maintenance et de l’usure des équipements, qui, contrairement à ce qui est soutenu, ont nécessairement un impact sur le niveau de production, n’est pas précisé par la société Électricité de France » (considérant n° 10).

Au total, la Cour rejette le recours de la société EDF faute pour cette dernière de démontrer l’existence d’un lien direct et certain entre les préjudices allégués et la modification du contrat. Ces conclusions, conformes à la jurisprudence en matière de modifications unilatérales des contrats administratifs par la personne publique, rappellent utilement les démonstrations attendues du cocontractant de l’administration pour qu’il puisse être fait droit à une demande indemnitaire.