le 15/03/2018

Les recommandations du rapport « L’entreprise, objet d’intérêt collectif »

Rapport Notat " L’entreprise, objet d’intérêt collectif "

Nicole NOTAT, président directeur général (PDG) de Vigeo Eiris et Jean-Dominique SENARD, PDG de Danone, ont remis, le 9 mars dernier, un rapport intitulé « L’entreprise, objet d’intérêt collectif », aux ministres de la Transition écologique et solidaire, de la Justice, de l’Economie et des finances, et du Travail.

Ce rapport a vocation à établir une nouvelle définition juridique de l’entreprise. Ses rédacteurs font notamment le constat de l’inadéquation de la conception de l’entreprise dans le Code civil en faisant valoir que « chaque entreprise a une raison d’être non réductible au profit ». Ainsi, « le rôle premier de l’entreprise n’est pas la poursuite de l’intérêt général, mais des attentes croissantes à l’égard des entreprises sont régulièrement exprimées, avec l’essor des défis environnementaux et sociaux ».

Ils précisent, au stade du constat, que « le droit des société est perçu comme décalé avec la réalité des entreprises et des attentes » et prennent notamment pour exemple les dispositions du Code civil, très peu modifiées depuis le début du 19ème siècle. Ainsi, « la société anonyme de 1807, autorisée par décret en Conseil d’Etat, n’a cependant pelus grand-chose à voir avec la grande société cotée, dotée de sociétés filiales à l’étranger et à la tête d’un groupe composé, même en France, de montages juridiques nécessitant une multitude de sociétés ».

Madame NOTAT et Monsieur SENARD précisent en outre qu’ils cherchent une voie médiane entre l’action publique et l’économie de marché, « celle d’une économie responsable, parvenant à concilier le but lucratif et la prise en compte des impacts sociaux et environnementaux », qui embrasserait l’ensemble du secteur privé. Le modèle qu’ils dessinent ne viendrait donc pas se substituer à  l’économie sociale et solidaire.

Ils ont donc formulé quatorze propositions, cinq d’entre elles sont d’ordre législatif, trois concernent des cadres juridiques optionnels et, enfin, six s’adressent directement aux « praticiens » et à l’administration.

Les recommandations d’ordre législatif

La première d’entre-elles consiste à ajouter un second alinéa à l’article 1833 du Code civil, au sein duquel il serait précisé que « la société doit être gérée dans son intérêt propre, en considérant les enjeux sociaux et environnementaux de son activité » (recommandation n°1). Selon les auteurs du rapport, cette mention à l’intérêt propre et aux enjeux sociaux et environnementaux permet d’éviter que l’intérêt social de l’entreprise ne se limite pas aux « intérêts particuliers des associés ». L’article L. 225-35 du Code de commerce serait lui aussi modifié afin de confier aux conseils d’administration et de surveillance la formulation d’une « raison d’être » de l’entreprise entrant en conformité avec les nouvelles dispositions de l’article 1833 du Code civil (recommandation n°2).

Les recommandations suivantes d’ordre législatif portent sur la représentation des salariés dans les instances des entreprises qui seraient considérablement renforcée (recommandations n°6, 7 et 8). Dans les conseils d’administration ou de surveillance d’entreprises de plus de mille salariés, ils passeraient à deux salariés minimum pour huit administrateurs non-salariés, et trois salariés à partir de treize administrateurs                                  non-salariés. Dans un mouvement similaire, les sociétés par actions simplifiées de plus de cinq cents salariés seraient tenues de se doter d’un conseil d’administration ou de surveillance afin de disposer, dans les mêmes proportions, d’administrateurs salariés.

Les recommandations concernant des cadres juridiques optionnels

Les rapporteurs proposent de faire figurer une « raison d’être » dans les statuts d’une société, notamment dans le but de permettre les entreprises à mission (recommandation n°11). Cela supposerait une modification de l’article 1835 du Code civil, dont le deuxième alinéa serait ainsi rédigé : « l’objet social peut préciser la raison d’être de l’entreprise constituée ». Par conséquent, l’entreprise à mission serait reconnue dans la loi et pourrait concerner toutes les formes juridiques de société, sous réserve de remplir les critères suivants (recommandation n°12) :

–       La raison d’être est inscrite dans les statuts ;

–       Un comité d’impact est constitué au sein de la société ;

–       Le respect de la raison d’être est soumis à la mesure d’un tiers ;

–       L’entreprise publie une déclaration de performance extra-financière.

Enfin, les conditions et effets de la détention de parts sociales majoritaires par des fondations seraient assouplis et accompagnées de la création de fonds de transmission et de pérennisation des entreprises. Ce dernier point concernerait « les fondateurs d’entreprises qui souhaitent pérenniser une raison d’être ou une implantation territoriale, sans vocation philanthropique » (recommandation n°14).

Les recommandations à l’attention des praticiens et des administrations

Le rapport préconise d’accompagner le développement de labels RSE sectoriels et d’en faire un outil de renforcement du dialogue social dans les branches (recommandation n°3). Des « comités de parties prenantes », indépendants des autres instances contribueraient à développer la stratégie RSE des entreprises (recommandation n°4), cette dernière pouvant imposer des critères RSE dans les rémunérations variables des dirigeants (recommandation n°5).

Dans le même sens, les rapporteurs suggèrent « d’engager une étude sur le comportement responsable de l’actionnaire » (recommandation n°9). Ils proposent également d’engager des réflexions sur une évolution des normes comptables, afin que celles-ci considèrent les enjeux d’intérêt général, sociaux et environnementaux (recommandation n°10). Enfin, ils souhaitent la création d’un « acteur européen de labellisation », y voyant là un outil de soft power, permettant de faire évoluer la vision de l’entreprise au niveau européen (recommandation n°13).

Les propositions issues de ce rapport viendront alimenter la réflexion autour du projet de loi de « Plan d’action pour la croissance et la transformation des entreprises » (projet de loi « PACTE »), qui sera présenté au printemps par le ministre de l’économie.