le 06/04/2020

Les effets des ordonnances du 25 mars 2020 sur la procédure d’expropriation et du droit de préemption

Ordonnance n° 2020-304 du 25 mars 2020 portant adaptation des règles applicables aux juridictions de l'ordre judiciaire statuant en matière non pénale et aux contrats de syndic de copropriété

Ordonnance n° 2020-306 du 25 mars 2020 relative à la prorogation des délais échus pendant la période d’urgence sanitaire et à l’adaptation des procédures pendant cette même période

Sur le fondement du 2° du I de l’article 11 de la loi n° 2020-290 du 23 mars 2020 d’urgence pour faire face à l’épidémie de covid-19, deux ordonnances en date du 25 mars 2020, susceptibles d’impacter la procédure d’expropriation, sont entrées en vigueur : 

  • Ordonnance n° 2020-306 du 25 mars 2020 relative à la prorogation des délais échus pendant la période d’urgence sanitaire et à l’adaptation des procédures pendant cette même période ; 
  • Ordonnance n° 2020-304 du 25 mars 2020 portant adaptation des règles applicables aux juridictions de l’ordre judiciaire statuant en matière non pénale et aux contrats de syndic de copropriété  

 
Les effets des dispositions de ces dernières ordonnances sur la procédure d’expropriation diffèrent selon que l’on se trouve en phase administrative (1) ou en phase judiciaire (2).  Des incidences peuvent également être relevées en matière de droit de préemption (3).  

 

I – Les effets des ordonnances du 25 mars 2020 en phase administrative 

Certaines dispositions des ordonnances précitées du 25 mars 2020 ont des effets notables sur trois points de la procédure d’expropriation, en phase administrative : 

– Le déroulement des enquêtes publiques : l’article 7 de l’ordonnance n° 2020-306 du 25 mars 2020 prévoit précisément la suspension des délais de consultation et de participation du public, préalables à la prise d’une décision d’une autorité administrative.  

 
Toutefois, une dérogation issue de l’article 12 de la même ordonnance est expressément prévue «Lorsque le retard résultant de l’interruption de l’enquête publique ou de l’impossibilité de l’accomplir en raison de l’état d’urgence sanitaire est susceptible d’entraîner des conséquences difficilement réparables dans la réalisation de projets présentant un intérêt national et un caractère urgent ».

 
Dans une telle hypothèse – qui semble notamment concerner les procédures menées dans le cadre de la réalisation du Grand Paris Express, mais aussi des Jeux Olympiques 2024 -, « l’autorité compétente pour organiser l’enquête publique peut en adapter les modalités : 

1° En prévoyant que l’enquête publique en cours se poursuit en recourant uniquement à des moyens électroniques dématérialisés. La durée totale de l’enquête peut être adaptée pour tenir compte, le cas échéant, de l’interruption due à l’état d’urgence sanitaire. Les observations recueillies précédemment sont dûment prises en compte par le commissaire enquêteur ; 

2° En organisant une enquête publique d’emblée conduite uniquement par des moyens électroniques dématérialisés ». 

 
A noter également que, dans une telle situation, si la durée de l’enquête excède la période définie au I de l’article 1er de la présente ordonnance (soit, le 24 juin 2020 sous réserve de réduction ou de prorogation), l’autorité compétente aura la faculté de revenir, une fois achevée cette période et pour la durée de l’enquête restant à courir, aux modalités d’organisation de droit commun énoncées par les dispositions qui régissent la catégorie d’enquêtes dont elle relève.  

On peut, enfin, relever qu’une incertitude réside sur les effets de l’ordonnance sur les enquêtes publiques dans la mesure où l’article 7 évoque la suspension des délais, ce que confirme le rapport au Président de la République relatif à cette ordonnance, alors que l’article 12 parle d’une interruption. 

Or, ces deux notions n’emportent pas les mêmes conséquences.  

En effet, dans le cas d’une suspension, la durée échue est comptabilisée et, lors de la reprise du délai, seul le temps restant courra alors qu’au contraire, dans le cas d’une interruption, la durée déjà passée n’est pas comptabilisée et c’est l’ensemble du délai initialement prévu qui courra à nouveau.  

Une clarification sera nécessaire sur ce point. 

(Pour aller plus loin sur les enquêtes publiques : LA PARTICIPATION DU PUBLIC FACE AU COVID-19 : LA REPONSE DU LEGISLATEUR

 
– La validité des déclarations d’utilité publique : Pour rappel, l’article L. 121-4 du Code de l’expropriation dispose que « l’acte déclarant l’utilité publique précise le délai pendant lequel l’expropriation devra être réalisée. Il ne peut excéder cinq ans, si la déclaration d’utilité publique n’est pas prononcée par décret en Conseil d’Etat en application de l’article L. 121-1. Toutefois, si les opérations déclarées d’utilité publique sont prévues par des plans d’occupation des sols, des plans locaux d’urbanisme ou des documents d’urbanisme en tenant lieu, cette durée maximale est portée à dix ans ». 

Or, il est de jurisprudence constante que le juge de l’expropriation doit refuser de prononcer l’expropriation si la déclaration d’utilité publique est caduque (Civ. 3e, 5 décembre 2007, n° 0620053) 

Aussi, en application des articles 1 et 2 de l’ordonnance n° 2020-306 du 25 mars 2020, si le terme d’une déclaration d’utilité publique était prévu entre le 12 mars 2020 et, à titre prévisionnel, le 24 juin 2020 (sous réserve de la réduction ou de la prorogation de l’état d’urgence sanitaire), il semblerait que la durée de validité d’une telle déclaration soit prorogée et le juge de l’expropriation pourrait prononcer l’expropriation « dans un délai qui ne peut excéder, à compter de la fin de cette période, le délai légalement imparti pour agir, dans la limite de deux mois ». 

 

– La validité des arrêtés de cessibilité : L’article L. 221-1 du Code de l’expropriation dispose que le préfet transmet au greffe de la juridiction de l’expropriation un dossier comprenant, notamment, un arrêté de cessibilité pris depuis moins de six avant l’envoi du dossier au greffe. 

 
Le juge de l’expropriation ne peut prononcer le transfert de propriété de biens expropriés si, à la date d’envoi du dossier qui est la seule à prendre en considération, l’arrêté de cessibilité est devenu caduc après l’expiration d’un délai de six mois à compter de son édiction (3e Civ., 15 mars 2006, n° 05-70004 ; 3e Civ, 23 mai 2012, n° 11-15688).  

Aussi, en application de l’article 2 de l’ordonnance n° 2020-306 du 25 mars 2020, si la caducité de l’arrêté de cessibilité intervient entre le 12 mars 2020 et, à titre prévisionnel, le 24 juin 2020 (sous les mêmes réserves précitées), il semblerait que le Préfet pourra valablement transmettre au greffe du juge de l’expropriation un dossier comprenant un tel arrêté de cessibilité s’il est transmis « dans un délai qui ne peut excéder, à compter de la fin de cette période, le délai légalement imparti pour agir, dans la limite de deux mois » et, dans ces conditions, le juge de l’expropriation pourrait prendre son ordonnance d’expropriation.   

 

II – Les effets des ordonnances du 25 mars 2020 en phase judiciaire 

S’agissant de la phase judiciaire de l’expropriation, les ordonnances précitées ont des effets distincts si la procédure se situe en première instance ou en cause d’appel.  

Tout d’abord, en première instance, les dispositions de l’article 2 de l’ordonnance n° 2020-306 relative à la prorogation des délais échus pendant la période d’urgence sanitaire et à l’adaptation des procédures pendant cette même période sont, a priori, sans incidence.  

En effet, ces dispositions visent « tout acte, recours, action en justice, formalité, inscription, déclaration, notification ou publication prescrit par la loi ou le règlement à peine de nullité, sanction, caducité, forclusion, prescription, inopposabilité, irrecevabilité, péremption, désistement d’office, application d’un régime particulier, non avenu ou déchéance d’un droit quelconque ». 

 Or, en première instance, le non-respect des délais pour répondre aux offres ou mémoires valant offres de l’expropriant, pour saisir la juridiction, pour constituer un avocat, pour notifier l’ordonnance fixant la date de transport, peut être surmonté s’il n’a pas fait grief à la partie adverse.  

En revanche, certaines dispositions de l’ordonnance n° 2020-304 du 25 mars 2020 portant adaptation des règles applicables aux juridictions de l’ordre judiciaire statuant en matière non pénale et aux contrats de syndic de copropriété pourraient être particulièrement utiles dans la poursuite de procédures d’expropriation.  

En effet, des adaptations relatives à la tenue des audiences sont expressément prévues aux articles 7 et 8 de l’ordonnance précitée.  

 
Ainsi, l’article 7 de ladite ordonnance permet au président de la formation de jugement, par une décision insusceptible de recours, de décider que « l’audience se tiendra en utilisant un moyen de télécommunication audiovisuelle permettant de s’assurer de l’identité des parties et garantissant la qualité de la transmission et la confidentialité des échanges entre les parties et leurs avocats » ou « En cas d’impossibilité technique ou matérielle de recourir à un tel moyen […] décider d’entendre les parties et leurs avocats par tout moyen de communication électronique, y compris téléphonique, permettant de s’assurer de leur identité et de garantir la qualité de la transmission et la confidentialité des échanges ». 

Dans un tel cas, le juge organise et conduit la procédure, s’assure du bon déroulement des échanges entre les parties et veille au respect des droits de la défense et au caractère contradictoire des débats. Le greffe dresse le procès-verbal des opérations effectuées. 

En outre, l’article 8 de la même ordonnance prévoit que lorsque la représentation est obligatoire, ce qui est le cas en matière d’expropriation depuis le 1er janvier 2020, en vertu de l’article R. 311-9 du Code de l’expropriation (hormis pour L’Etat, les régions, les départements, les communes et leurs établissements publics qui peuvent se faire assister ou représenter par un fonctionnaire ou un agent de leur administration) ou que les parties sont assistées ou représentées par un avocat, le juge ou le président de la formation de jugement peut décider que la procédure se déroule selon la procédure sans audience et, dans une telle hypothèse, il en informe les parties par tout moyen, à charge pour les parties, dans un délai de 15 jours, de s’opposer à la procédure sans audience et, à défaut d’opposition, la procédure est exclusivement écrite. La communication entre les parties est faite par notification entre avocats. Il en est justifié dans les délais impartis par le juge. 

L’application de ces dispositions est donc parfaitement envisageable pour les procédures de fixation des indemnités, notamment celles faisant suite à une opération d’expropriation déclarée urgente au sens de l’article R. 232-1 du Code de l’expropriation.  

En revanche, la question du transport sur les lieux, qui n’est pas assimilable à une audience mais s’apparente davantage à une mesure d’instruction n’a semble-t-elle pas été prévue par l’ordonnance n° 2020-304 du 25 mars 2020. Ce point ne manquera pas d’être source d’interrogation dans la mesure où le transport sur les lieux implique de se déplacer sur place pour constater la consistance des biens, ce qui contrarie le principe de confinement. 

 
En cause d’appel, et contrairement au déroulement de la procédure en première instance, les dispositions de l’article 2 de l’ordonnance n° 2020-306 relative à la prorogation des délais échus pendant la période d’urgence sanitaire et à l’adaptation des procédures pendant cette même période sont particulièrement pertinentes.  

En effet, des sanctions assortissent le non-respect des délais prévus par le Code de l’expropriation.  

Tel est précisément le cas des délais : 

  • pour interjeter appel (article R. 311-24 du Code de l’expropriation : un mois à compter de la signification du jugement, sous peine d’irrecevabilité) ;
  • pour déposer des conclusions tant pour l’appelant (article R. 311-26 du même Code : 3 mois à compter de la déclaration d’appel, sous peine de caducité) que pour l’intimé (article R. 311-26 précité : 3 mois à compter de la notification des conclusions de l’appelant par le greffe, sous peine d’irrecevabilité ; délai applicable au commissaire du gouvernement).  

 
Aussi, en application de l’article 2 de l’ordonnance précitée, si un délai pour interjeter appel expire entre le 12 mars 2020 et l’expiration d’un délai d’un mois à compter de la date de cessation de l’état d’urgence sanitaire déclaré dans les conditions de l’article 4 de la loi n° 2020-290 du 23 mars 2020, ce délai sera prorogé d’un mois à compter de la fin de cette période.  

De même, si le dépôt des conclusions devait intervenir entre le 12 mars 2020 et un mois après la fin de l’état d’urgence sanitaire, l’appelant ou l’intimé pourra valablement les déposer dans un délai de deux mois suivant la fin de la période de l’état d’urgence sanitaire.  

 

III – Les effets des ordonnances du 25 mars 2020 sur le droit de préemption 

 
Les ordonnances précitées ont également des incidences en matière de droit de préemption.  

En effet, le titulaire du droit de préemption est tenu par des délais sanctionnés par la renonciation à l’exercice de son droit.  

Cela concerne, notamment, le délai : 

  • pour exercer le droit de préemption urbain (article R. 213-7 du Code de l’urbanisme) ; 
  • pour saisir le juge de l’expropriation, en cas de maintien du prix figurant dans la déclaration d’intention d’aliéner par le vendeur (article R. 213-10 du Code de l’urbanisme) ; 
  • pour procéder à notification à la juridiction de l’expropriation et au propriétaire du récépissé de la consignation d’une somme égale à 15 % de l’évaluation faite par le directeur départemental des finances publiques (article L. 213-4-1 du Code de l’urbanisme) 

 

S’agissant d’abord du délai pour exercer le droit de préemption urbain, le Code de l’urbanisme prévoit que le titulaire du droit de préemption peut exercer son droit dans un délai de deux mois à compter de la réception en mairie de la déclaration d’intention d’aliéner, sous peine de renonciation à son droit.  

L’article 7 de l’ordonnance n° 2020-306 du 25 mars 2020 relative à la prorogation des délais échus pendant la période d’urgence sanitaire et à l’adaptation des procédures pendant cette même période prévoit ainsi que « les délais à l’issue desquels une décision  […] de […] personne mentionnés à l’article 6 (administrations de l’Etat, aux collectivités territoriales, à leurs établissements publics administratifs) peut ou doit intervenir ou est acquis implicitement et qui n’ont pas expiré avant le 12 mars 2020 sont, à cette date, suspendus jusqu’à la fin de la période mentionnée au I de l’article 1er ». 

Le deuxième alinéa du même article précise que : « Le point de départ des délais de même nature qui auraient dû commencer à courir pendant la période mentionnée au I de l’article 1er est reporté jusqu’à l’achèvement de celle-ci ». 

Sur son site internet, le Ministère de la Cohésion des territoires et des Relations avec les collectivités territoriales précise, à propos de ces dispositions que « sont visées, […] les délais applicables aux déclarations présentées aux autorités administratives, par exemple une déclaration d’intention d’aliéner (DIA) » (cohesion-territoires.gouv.fr : voir la communication relative à l’ordonnance sur la prorogation des délais échus pendant la période d’urgence sanitaire et adaptation des procédures).  

 
Il en résulte deux conséquences : 

1 – Le délai d’exercice du droit de préemption pour les déclarations d’intention d’aliéner transmises avant le 12 mars et qui n’ont pas expiré avant cette même date est suspendu jusqu’à l’expiration du délai d’un mois à compter de la date de cessation de l’état d’urgence sanitaire.  

Ainsi, par exemple, si une DIA a été transmise en mairie le 12 février 2020, le titulaire du droit de préemption disposera d’un mois après l’expiration du délai d’un mois à compter de la date de cessation de l’état d’urgence sanitaire pour exercer son droit, soit de manière prévisionnelle, jusqu’au 25 juillet 2020.  

 

2 – Le point de départ du délai d’exercice du droit de préemption pour les déclarations d’intention d’aliéner transmises entre le 12 mars 2020 et l’expiration d’un délai d’un mois à compter de la date de cessation de l’état d’urgence sanitaire ne commencera à courir qu’à compter de cette dernière date.  

Par exemple, dans le cas d’une DIA transmise le 13 mars 2020, le titulaire du droit de préemption pourra légalement exercer son droit, de manière prévisionnelle et sous réserve de réduction ou de prorogation de l’état d’urgence sanitaire, jusqu’au 25 août 2020.  

 

S’agissant, ensuite, de la saisine du juge de l’expropriation, qui doit intervenir dans un délai de 15 jours à compter de la réponse du vendeur de maintenir le prix figurant dans la DIA, si celle-ci devait être effectuée entre le 12 mars 2020 et l’expiration d’un délai d’un mois à compter de la date de cessation de l’état d’urgence sanitaire déclaré dans les conditions de l’article 4 de la loi du 22 mars 2020 précité, elle semblerait être réputé avoir été fait à temps si elle intervient dans un délai de 15 jours à compter de l’expiration du dernier délai cité, conformément à l’article 2 de l’ordonnance n° 2020-306 du 25 mars 2020.  

Par exemple, si le courrier de maintien de prix du vendeur a été reçu par le titulaire du droit de préemption le 13 mars 2020, le titulaire du droit de préemption pourra valablement saisir le juge de l’expropriation, sous les mêmes réserves que précédemment, jusqu’au 10 juillet 2020 (15 jours suivant l’expiration d’un délai d’un mois à compter de la fin de l’état d’urgence sanitaire prévue, à titre provisoire, au 24 mai 2020, soit le 25 juin 2020).  

 
S’agissant, enfin, de l’obligation faite au titulaire du droit de préemption de procéder à notification à la juridiction de l’expropriation et au propriétaire du récépissé de la consignation d’une somme égale à 15 % de l’évaluation faite par le directeur départemental des finances publiques dans un délai de trois mois à compter de la saisine de la juridiction, sous peine d’être réputé avoir renoncé à l’acquisition ou à l’exercice du droit de préemption, il semblerait que ce cas entre également dans les hypothèses prévues à l’article 2 de l’ordonnance n° 2020-306 du 25 mars 2020 qui vise « Toute […] notification prescrit par la loi ou le règlement à peine de […] sanction […] ou déchéance d’un droit ».  

 
Aussi, si cette notification devait être effectuée entre le 12 mars 2020 et l’expiration d’un délai d’un mois à compter de la date de cessation de l’état d’urgence sanitaire déclaré dans les conditions de l’article 4 de la loi du 22 mars 2020 précité, elle semblerait être réputé avoir été fait à temps si elle intervient dans un délai de deux mois à compter de la fin de l’expiration d’un délai d’un mois à compter de la date de cessation de l’état d’urgence sanitaire.  

Par exemple, dans l’hypothèse où le juge de l’expropriation a été saisi le 13 mars 2020, le titulaire du droit de préemption devra notifier à la juridiction de l’expropriation et au propriétaire le récépissé de la consignation avant le 25 août 2020.

Par Louis Chevallier