le 10/12/2020

Le secret des affaires combattu par les associations prônant le droit à l’information

TA Paris, 15 octobre 2020, n° 1822236/5-2

Dans un jugement rendu le 15 octobre 2020, n° 1822236/5-2, le Tribunal administratif de Paris a tenté de faire une subtile distinction entre les documents administratifs pouvant être valablement divulgués au nom de la liberté d’expression et d’information des journalistes et ceux qui ne peuvent pas l’être au nom de secret des affaires consacré par la loi n° 2018-670 du 30 juillet 2018.

En l’espèce, un journaliste du quotidien « Le Monde » et sa société éditrice ont sollicité devant le Tribunal administratif de Paris l’annulation des décisions prises par le Directeur du Laboratoire national de métrologie et d’essais (LNE) et de sa filiale chargée de l’évaluation des dispositifs médicaux en France, la société G-Med refusant de leur communiquer dans le cadre de l’enquête du consortium international des journalistes d’investigation sur les dispositifs médicaux implantables (dite « implant files »), la liste des dispositifs médicaux ayant ou n’ayant pas obtenu un certificat de conformité CE.

A noter que deux syndicats de journalistes, un syndicat d’avocats et pas moins de  44 associations pour la plupart des sociétés de journalistes sont  valablement intervenues volontairement à cette instance.

Le Tribunal administratif de Paris, rappelle dans un premier temps les textes et principes en balance dans le présent litige à savoir :

L’article L. 311-1 du Code des relations entre le public et l’administration posant pour principe que les administrations sont tenues « de communiquer les documents administratifs qu’elles détiennent aux personnes qui en font la demande ».

L’article L. 311-6 dudit Code précise cependant que « ne sont communicables qu’à l’intéressé », et non pas à toute personne, qu’elle soit journaliste ou autre, qui en ferait la demande, « les documents administratifs : 1° dont la communication porterait atteinte […] au secret des affaires, lequel comprend le secret des procédés, des informations économiques et financières et des stratégies commerciales ou industrielles ».

Le Tribunal rappelle ensuite les dispositions de l’article 10 de la Convention Européenne des Droits de l’Homme posant le principe de la liberté d’expression et d’information.

Au regard de ces textes, le Tribunal se livre à une appréciation du champ d’application du secret et il a estimé que la protection du secret des affaires, visée par le deuxième alinéa de l’article L. 311-6 du Code des relations entre le public et l’administration, ne justifie pas d’opposer un refus dans le cas des dispositifs certifiés déjà mis sur le marché.

Ainsi, le Tribunal a partiellement réformé la position adoptée par la CADA, qui dans son avis du 25 octobre 2018 n° 20182659 s’était déclarée défavorable à la divulgation de l’ensemble de la liste des dispositifs médicaux sans distinction.

Pour autant, pour la juridiction administrative parisienne, la communication de la liste des dispositifs médicaux auxquels un marquage CE a été refusé et des dispositifs auxquels un certificat a été accordé mais qui ne sont pas encore commercialisés, doit être regardée comme la divulgation d’une information confidentielle relative à la stratégie commerciale et industrielle des fabricants concernés, relevant de la protection du secret des affaires.

Ainsi le Tribunal admet que l’ensemble des informations qu’il fait entrer dans la catégorie du secret peuvent faire l’objet d’un refus de communication. Le Tribunal a en effet estimé que ce refus constitue une « ingérence nécessaire et proportionnée à la protection des informations confidentielles en cause » et dans l’exercice du droit à la liberté d’expression.

Si une partie de la décision ne peut qu’être favorablement accueilli, il n’en reste pas moins que la non-communication de la liste des dispositifs médicaux ayant fait l’objet d’un refus de certification pose question.

En effet, un refus de certification en France n’empêche pas une certification dans un autre État membre de l’UE puisque chaque organisme national est autonome. Or une fois obtenu, ce marquage CE permet aux fabricants de commercialiser leurs dispositifs médicaux sur l’ensemble du territoire européen et donc en France.

Par Manon Boinet