le 19/11/2020

Le caractère décennal des désordres peut être apprécié au regard de l’existence d’un risque suffisamment établi de nature à rendre l’ouvrage impropre à sa destination

CAA Nancy, 13 octobre 2020, n° 19NC00527

Dans un récent arrêt du 13 octobre 2020, la Cour administrative d’appel de Nancy apporte une illustration intéressante de l’appréciation du caractère décennal de désordres, qui apparus, dans le délai de dix ans, sont de nature à rendre l’ouvrage impropre à sa destination dans un délai prévisible.

Dans cette affaire, une Commune avait constaté l’apparition de désordres sur l’un de ses réservoirs d’eau potable consistant principalement dans la présence de poches et cloques sur le revêtement intérieur du réservoir et ayant conduit l’Agence Régionale de Santé à prescrire l’exécution de travaux qualifiés d’« obligatoires ».

Contrainte de procéder à la reprise des désordres en urgence au regard notamment des risques de contamination de l’eau soulignés par l’ARS, la Commune n’avait eu d’autres choix que de faire procéder à la désignation d’un expert dans le cadre d’un référé constat, lequel limite la mission de l’expert à la constatation des faits, à l’exception de toute analyse technique de l’origine des désordres, et de leur imputabilité, mais encore de leur caractère décennal.

Sur la base dudit rapport et des courriers adressés par l’ARS, la Commune a par la suite tenté d’obtenir devant le tribunal administratif de Strasbourg, l’indemnisation du préjudice consécutif sur le fondement de la garantie décennale des constructeurs auprès de l’Etat, maître d’œuvre des travaux et de l’entreprise de travaux cependant placée en liquidation judiciaire.

Le tribunal administratif a toutefois rejeté la requête au motif que la Commune n’établissait pas que les désordres étaient de nature à rendre l’ouvrage impropre à sa destination dans un délai prévisible.

La Cour administrative de Nancy, saisie de l’appel dirigé contre le jugement, rappelle tout d’abord le principe désormais bien établi aux termes duquel « les désordres apparus dans le délai d’épreuve de dix ans, de nature à compromettre la solidité de l’ouvrage ou à le rendre impropre à sa destination dans un délai prévisible, engagent leur responsabilité, même s’ils ne se sont pas révélés dans toute leur étendue avant l’expiration du délai de dix ans. Le constructeur dont la responsabilité est recherchée sur ce fondement ne peut en être exonéré, outre les cas de force majeure et de faute du maître d’ouvrage, que lorsque, eu égard aux missions qui lui étaient confiées, il n’apparaît pas que les désordres lui soient en quelque manière imputables » (voir CE, 15 avril 2015, Cne Saint-Michel-sur-Orge, n° 376229, Rec. Lebon).

Le juge administratif considère ainsi classiquement qu’il suffit que le dommage constaté dans le délai de dix ans acquière de manière certaine une gravité décennale dans un délai prévisible pour que la responsabilité décennale puisse être engagée.

La Cour administrative d’appel de Nancy censure toutefois le jugement de première instance en relevant que la circonstance qu’un risque de contamination de l’eau destinée à la consommation humaine soit suffisamment établi suffit à conférer aux désordres le caractère de désordres de nature à rendre l’ouvrage impropre à sa destination.

Pour ce faire, la Cour administrative d’appel de Nancy s’est néanmoins attachée à relever les obligations réglementaires qui incombent aux maîtres d’ouvrages de réservoir d’eaux potable quant à le prévention de l’introduction ou l’accumulation de micro-organismes, et à déduire des rapports d’experts que les désordres affectant le revêtement d’étanchéité étaient appelés à se généraliser et à s’aggraver.

Cette décision confirme la définition extensive que le juge administratif entend donner au dommage futur. La portée de cet arrêt reste toutefois toute relative. En effet si la Cour administrative d’appel de Nancy ne fait pas ici référence au caractère « certain » de l’acquisition du caractère décennal dans un délai prévisible, elle s’attache néanmoins à rechercher le caractère « suffisamment établi » du risque de contamination.