le 19/12/2018

Les manifestations des « gilets jaunes » et la responsabilité de l’Etat pour les dommages dus aux attroupements et rassemblements

Les collectivités locales et leurs établissements publics, victimes de dommages survenus à l’occasion des différentes actions revendicatives des « gilets jaunes » peuvent envisager d’engager la responsabilité sans faute de l’Etat du fait des attroupements et des rassemblements.

L’article L. 211-10 du Code de la sécurité intérieure dispose, en effet, que :

« L’État est civilement responsable des dégâts et dommages résultant des crimes et délits commis à force ouverte ou par violence par des attroupements ou rassemblements armés ou non armés, soit contre les personnes soit contre les biens. Il peut exercer une action récursoire contre la commune lorsque la responsabilité de celle-ci se trouve engagée».

L’intérêt de ce régime de responsabilité de l’Etat est qu’il n’impose pas d’établir l’existence d’une faute, ce qui est d’autant plus intéressant que la faute, s’agissant de l’ampleur des manifestations et de la mobilisation des forces de l’ordre, devrait certainement être une faute lourde compte-tenu des difficultés particulières du maintien de l’ordre dans les circonstances récentes.

Comme la jurisprudence l’a précisé, il est permis d’envisager de recourir à un tel fondement dès lors que 3 critères cumulatifs sont réunis :

  • la caractérisation d’un attroupement ou d’un rassemblement armé ou non armé
  • la caractérisation d’un crime ou d’un délit commis, à force ouverte ou par violence,
  • l’identification d’un lien direct entre ladite infraction et le rassemblement.

Mais, on ne peut ignorer que le Juge administratif se montre très restrictif, et a introduit plusieurs autres critères, permettant à l’État de se soustraire à sa responsabilité.

Il a écarté le régime de responsabilité de l’Etat lorsque les dommages ont été causés par un groupe de type «commando» et qui se réunit dans le seul but prémédité d’occasionner des dommages.

Au contraire, il n’écartera pas l’application de ce régime, si les dommages ont été le fait d’un groupe qui s’était constitué dans un autre but que d’occasionner des dommages, ce but pouvant être la revendication ou la protestation.

Dans une telle hypothèse, le groupe devra avoir une grande taille. Il y a lieu de penser que, dans le cas des dommages causés par de grands groupes, le Juge administratif cherchera à déterminer si les dommages sont le fait du grand groupe ou rassemblement, ou d’un groupuscule qui a agi très en marge du groupe de l’ensemble des manifestants.

Toutefois, la jurisprudence a enregistré, très récemment, une tendance à ne plus considérer inapplicable l’article 211-10 du Code de la sécurité intérieure au seul vu du caractère prémédité et organisé des dommages.

Dans un arrêt récent, en effet, le Conseil d’Etat a reconnu que la seule circonstance du caractère organisé et prémédité des dégradations ne suffisait pas à écarter la responsabilité de l’Etat dès lors que les dégradations avaient été commises dans le cadre d’une manifestation sur la voie publique à laquelle avaient participé plusieurs centaines de personnes (CE 7 décembre 2017, Commune de Saint-Lô n° 400801).

Cette évolution offre plus de chances aux collectivités de rencontrer des succès dans les contentieux qu’elles pourraient engager devant les juridictions administratives pour obtenir d’être indemnisées par l’Etat des dommages subis à l’occasion des manifestations des « gilets jaunes ».

Tout dépendra, alors, des éléments qui pourront être réunis pour répondre aux critères de la loi : l’existence d’un lien direct entre des manifestations locales ou nationales et des dommages subis dans des bâtiments, équipements publics, sur la voie publique ; la démonstration que ce sont des groupes de « gilets jaunes » bien identifiés, qui sont à l’origine de ces dommages et que ces  derniers résultent non pas d’actions de  « commandos » isolés des groupements ou rassemblements organisés par les « gilets jaunes », mais de l’action revendicative menée par ces groupements.

Il restera, alors, à lier le contentieux indemnitaire, soit : à présenter au Préfet, une demande indemnitaire, argumentée, chiffrée, par LRAR.

Le Tribunal administratif du ressort de la Préfecture, ne pourra être saisi que par voie de recours contre la décision de refus que le Préfet aura adressée. Le Tribunal devra être obligatoirement saisi par un avocat, dans un délai de deux mois suivant le rejet de la demande indemnitaire.

Par Jean-Louis Vasseur