Urbanisme, aménagement et foncier
le 22/11/2018
Céline LHERMINIER
Emmanuelle BARON

La régularisation des autorisations d’occupation du sol : bilan et perspectives

La régularisation des autorisations d’occupation du sol peut être engagée à l’initiative, d’une part, du pétitionnaire et/ou de l’autorité compétente et, d’autre part, depuis un période plus récente, par le Juge administratif.

C’est chronologiquement la possibilité d’une régularisation du permis de construire à l’initiative de l’Administration qui a été admise par le juge (d’abord en ce qui concerne les défauts de conformité d’un projet de construction au regard des règles d’urbanisme applicables : CE,  2 octobre 1987, n°66391 –  CE, 15 janv. 1997, n°100494 ; et par la suite en ce qui concerne les vices de formes et de procédures : CE, 2 fév. 2004, SCI La Fontaine de Villiers, n°238315).

En revanche, ce n’est qu’avec l’ordonnance n° 2013-638 du 18 juillet 2013 relative au contentieux de l’urbanisme, sur proposition du rapport Labetoulle[1], qu’a été octroyé au Juge administratif le pouvoir  de surseoir à statuer avant d’inviter les parties à procéder à la régularisation du permis de construire, de démolir ou d’aménager (L. 600-5-1 du Code de l’urbanisme).

Même si ce texte est récent, il a d’ores et déjà donné lieu a une abondante jurisprudence venant préciser les contours de ces nouveaux pouvoirs octroyés au juge, et donc des modalités et des conditions de régularisation des autorisations d’occupation du sol (I.). Mais ce premier retour d’expérience a permis de faire ressortir les limites de ces nouveaux mécanismes, limites que le législateur entend essayer de corriger (II.).

I – BILAN

Cela fait bientôt six ans que le Juge administratif manie ce nouveau pouvoir qui lui a été octroyé par l’ordonnance du 18 juillet 2013.

Sur le papier, il s’agissait à l’évidence d’un outil pouvant emporter une réforme très profonde du contentieux de l’urbanisme, susceptible de marquer encore davantage les particularités de ce contentieux, que l’on peut aujourd’hui analyser comme étant à mi chemin entre le contentieux de l’excès de pouvoir et le plein contentieux. Cependant, évidemment, la portée effective de ce nouvel outil dépendait nécessairement de l’usage qui en serait fait par l’autorité chargée de le mettre en œuvre, le Juge administratif.

Ce premier bilan devra permettre de constater que, dans leur grande majorité, les juridictions administratives se sont pleinement approprié ce pouvoir, d’une part, en en dessinant des contours procéduraux devant permettre de donner une pleine portée à cet outil contentieux et, d’autre part, en construisant un champ d’application relativement élargi des possibilités de régularisation.

1 – Des contours procéduraux affinés au gré de la jurisprudence administrative

Comme relevé précédemment, l’insertion de l’article L. 600-5-1 dans le Code de l’urbanisme a été suggéré par le rapport Labetoulle[2].

Toutefois, les auteurs de ce rapport ont entendu laisser au Juge administratif le soin de polir les contours de ce nouvel outil contentieux, afin de trouver un juste et délicat équilibre entre la préservation efficace du droit au recours, et le gain de temps pour le porteur de projet :

« Par la rédaction qu’il a retenue à cette fin, le groupe de travail n’a pas prétendu régler à l’avance toutes les questions – elles sont nombreuses – qui ne manqueront pas de se poser dans l’application de cette disposition (faudratil, par exemple, admettre l’appel contre le jugement avantdire droit ou, comme cela paraît souhaitable, reporter la contestation des motifs pour lesquels ont été écartés les autres moyens jusqu’à l’intervention du jugement comportant le dispositif final ?). Il lui a semblé que la voie jurisprudentielle était la plus appropriée pour couvrir, progressivement, l’ensemble des hypothèses ».

Pour ce faire, le Juge administratif n’a pas hésité à interpréter largement les possibilités offertes par l’article L. 600-5-1 du Code de l’urbanisme. En effet, la lecture stricte de ces dispositions qui prévoient la régularisation d’ « un vice » devrait porter à croire qu’un seul vice est susceptible d’être régularisé par autorisation d’urbanisme, et que le constat de plusieurs irrégularités entachant la légalité de ladite autorisation devrait emporter l’impossibilité de mettre en œuvre l’article L. 600-5-1.

Toutefois, par souci de pragmatisme semble-t-il, le Juge administratif a rapidement permis qu’à l’occasion d’un contentieux engagé contre une autorisation d’urbanisme, plusieurs vices puissent être régularisés (voir par exemple en ce sens : CAA Nancy, 23 janv. 2014, n° 13NC00783 ; CAA Paris, 16 fév. 2015, n° 13PA03456 ; CAA Bordeaux, 9 juill. 2015, n° 12BX02902 ; CAA Marseille, 26 oct. 2017, n° 16MA00230 ; CAA Versailles, 7 déc. 2017, n° 15VE02620 ; CAA Lyon, 3 mai 2018, n° 16LY02240).

Par ailleurs, et afin de préserver effectivement le gain de temps contentieux et procédural du porteur de projet, le Conseil d’Etat a rapidement entendu préciser que la contestation de la légalité du permis de construire modificatif (PCM) de régularisation ne doit pas faire l’objet d’une nouvelle instance indépendante, mais doit être réglée dans le cadre de l’instance en cours contre le permis initial que le permis modificatif entend régulariser (CE, Avis, 18 juin 2014, n° 376760 ; CE, 19 juin 2017, n° 398531). Juger le contraire n’aurait pas été constructif au regard des objectifs affichés de la réforme en cause. Toutefois, cela n’est valable que pour les parties à l’instance. Pour les tiers, il est toujours loisible de former un recours indépendant contre le permis modificatif. Cependant, encore faudrait-il que ce tiers démontre son intérêt à agir, et que les moyens articulés pour contester ce permis modificatif ne portent que sur cette nouvelle autorisation, le recours contre un PCM ne réouvrant pas un nouveau délai de recours contre le permis de construire initial.

De manière générale, les prises de position du Juge administratif depuis l’entrée en vigueur de l’ordonnance du 18 juillet 2013, marquent semble-t-il la volonté d’ouvrir une large place à la régularisation des autorisations d’urbanisme en cours de procédure. En ce sens, le Conseil d’Etat a jugé que dans l’hypothèse d’une première tentative infructueuse de régularisation à l’initiative de l’Administration et du porteur de projet, rien n’interdit au Juge administratif d’utiliser les pouvoirs qui lui sont dévolus par l’article L. 600-5-1 du Code de l’urbanisme lorsqu’il constate que le moyen est régularisable, afin de laisser une seconde chance de régularisation de l’autorisation (CE, 22 fév. 2018, n° 4114561). Mais surtout, et après avoir d’abord pris position contre cette possibilité (CE, 30 déc. 2015, n° 375276), le Conseil d’Etat a jugé que le fait de constater que la construction objet de l’autorisation à régulariser est achevée ne doit pas s’opposer à la mise en œuvre de l’article L. 600-5-1 (CE, 22 fév. 2017, n° 392998), et donc à la régularisation de ladite autorisation (en revanche, le constat d’un tel achèvement continue à s’opposer, à la lecture de la jurisprudence, à l’annulation partielle de l’autorisation prévue par l’article L. 600-5 du Code de l’urbanisme).

2 – Un champ matériel large mais nécessairement encadré par la notion de permis de construire modificatif

L’efficacité de ce nouvel outil au regard des objectifs qui lui sont assignés, dépend également de l’appréciation prétorienne du caractère ou non régularisable de différents types de vices dont est susceptible d’être entachée une autorisation d’occupation du sol.

De ce point de vue une nouvelle fois, les décisions du Juge administratif démontrent la volonté d’ouvrir de nombreuses possibilités de régularisation des autorisations d’urbanisme en cours d’instance.

A cet égard, le Juge administratif a sursis à statuer dans l’attente de la régularisation de dossiers de demande au sein desquels manquaient des pièces obligatoires (voir par exemple pour la pièce marquant l’accord du gestionnaire du domaine pour engager la procédure d’autorisation d’occupation du domaine public : CAA Bordeaux, 22 juin 2018, n° 15BX03115) ou au sein desquels figuraient toutes les pièces requises mais dont certaines étaient incomplètes (voir par exemple pour des plans ne faisant pas ressortir toutes les informations nécessaires à l’instruction de la demande : CAA Marseille, 31 mai 2018, n° 16MA00230 ; CAA Lyon, 3 mai 2018, n° 16LY02240).

De la même façon, l’absence de la saisine pour avis d’une tierce personne alors qu’elle était obligatoire peut être régularisée (par exemple, dans le cas de la saisine pour avis simple de l’Architecte des Bâtiments de France quand il fallait en réalité une autorisation : CAA Marseille, 19 juill. 2018, n° 17MA01850).

L’absence d’une formalité obligatoire préalable à l’autorisation d’urbanisme peut également faire l’objet de la mise en œuvre de l’article L. 600-5-1 (pour l’exemple de l’absence de déclassement préalable du domaine public d’une parcelle sur laquelle portait le permis de construire : CAA Bordeaux, 28 août 2018, n° 15BX01143 – en l’absence d’autorisation de défrichement préalable pourtant obligatoire : CAA Nantes, 10 nov. 2017, n° 15NT02043).

L’incompétence de l’auteur de l’acte est  également susceptible d’être régularisée (CAA Lyon, 3 mai 2018, n° 16LY02240), tout comme l’absence de signature de l’acte (CAA Marseille, 14 janvier 2016, n° 14MA00803).

La question est plus subtile quand la régularisation rend nécessaire la modification du projet de construction en lui-même.

En effet, l’article L. 600-5-1 prévoit que l’outil de la régularisation doit prendre la forme d’un « permis modificatif ». Ce faisant, le législateur a nécessairement encadré les conditions de la régularisation lorsque celle-ci implique de modifier le projet de construction en lui-même, puisque pour entrer dans le champs d’application de l’article L.600-5-1, ces modifications doivent pouvoir être actées à travers l’adoption d’un permis de construire modificatif. En d’autres termes, les amendements à apporter au projet ne doivent pas être trop importants.

Ainsi, le Juge administratif examine si  « les modifications apportées au projet initial pour remédier au vice d’illégalité ne peuvent être regardées, par leur nature ou leur ampleur, comme remettant en cause sa conception générale ». Dans le cas où les modifications entreprises remettent en cause la conception générale du projet, alors l’autorisation d’occupation du sol ne peut être régularisée à l’occasion de la délivrance d’un permis modificatif, et l’utilisation de l’article L. 600-5-1 doit donc être exclue.

En résumé, si la régularisation de l’autorisation rend nécessaire de légères modifications du projet de construction, le juge peut surseoir à statuer dans l’attente d’une telle régularisation (par exemple pour l’ajout de places de stationnement : CAA Bordeaux, 6 juin 2017, n° 16BX00402 ; pour la nécessité d’un léger recul supplémentaire par rapport aux limites séparatives : CAA Bordeaux, 30 mars 2018, n° 16BX00931, 16BX01003). Au contraire, lorsque les modifications nécessaires sont trop importantes, alors le Juge administratif refuse de faire usage des pouvoirs qui lui sont octroyés par l’article L. 600-5-1 (dans le cas d’une importante modification de l’emprise au sol et de notables amendements des caractéristiques de la toiture : CAA Lyon, 25 oct. 2018, n° 17LY00416 : dans le cas d’une importante baisse de l’emprise au sol, des hauteurs et de l’aspect extérieur de la construction : CAA Lyon, 13 mars 2018, n° 15LY02376 ; dans le cas du projet de lotissement auquel il conviendrait d’ajouter 200 m² d’espaces verts : CAA Lyon, 15 fév. 2018, n° 16LY00967).

D’autres types de vices sont assez logiquement exclus de la possibilité de régularisation. Tel est le cas par exemple lorsque le vice en cause est la caducité du permis lui-même (CAA Marseille, 1er juin 2018, n° 17MA01872), ou encore lorsque la construction autorisée l’a été en zone inconstructible du PLU ou sur une parcelle sur laquelle toute construction est interdite aux termes du PPRI (CAA Nantes, 27 juillet 2018, n° 16NT03188 ; CAA Bordeaux, 27 sept. 2018, n° 16BX03616, 16BX03905).

II – PERSPECTIVES

Le bilan des six premières années de la pratique de la procédure de régularisation permet de constater que la majorité des juridictions administratives a entendu faire un large usage des pouvoirs qui leur sont conférés en application de l’article L. 600-5-1.

En réalité, le plus souvent, les limites de ce nouvel outil telles qu’elles ressortent de la jurisprudence administrative résultent de la rédaction du texte en lui-même. Or, si le Juge administratif dispose d’un large pouvoir d’interprétation des textes, il n’est en revanche pas censé s’écarter de la lettre même du texte lorsque celle-ci est parfaitement claire.

Désireux d’élargir les pouvoirs de régularisation du Juge administratif, le législateur a, sur les préconisations du Rapport dit Rapport Maugüe[3], et à l’occasion de l’élaboration de la loi portant évolution du logement, de l’aménagement et du numérique (dite loi ELAN) définitivement adoptée depuis le 16 octobre dernier, retravaillé la rédaction du texte des articles L. 600-5-1 et L. 600-5 du Code de l’urbanisme.

La rédaction de l’article L. 600-5-1 issue de la loi ELAN est la suivante :

« Sans préjudice de la mise en œuvre de l’article L. 6005, le juge administratif qui, saisi de conclusions dirigées contre un permis de construire, de démolir ou d’aménager ou contre une décision de non-opposition à déclaration préalable estime, après avoir constaté que les autres moyens ne sont pas fondés, qu’un vice entraînant l’illégalité de cet acte est susceptible d’être régularisé, sursoit à statuer, après avoir invité les parties à présenter leurs observations, jusqu’à l’expiration du délai qu’il fixe pour cette régularisation, même après l’achèvement des travaux. Si une mesure de régularisation est notifiée dans ce délai au juge, celui-ci statue après avoir invité les parties à présenter leurs observations. Le refus par le juge de faire droit à une demande de sursis à statuer est motivé ».

Il ressort de l’étude d’impact de cette loi publiée 3 avril 2018[4], que ce faisant, l’objectif poursuivi est le suivant :

« Le second objectif est de sécuriser les autorisations accordées en renforçant les pouvoirs que le juge administratif détient des articles L.600-5 et L.600-5-1 du code de l’urbanisme, et qui lui permettent de n’annuler que partiellement une autorisation de construire, ou de surseoir à statuer si l’illégalité est régularisable ».

La même étude d’impact résume les apports d’une telle réforme :

« Il est ainsi prévu que ces mécanismes soient désormais possibles en cas de permis de construire de régularisation et non plus seulement en cas de permis modificatif. Le juge aura par ailleurs l’obligation de motiver son refus de faire usage de ces deux articles. Enfin, la mise en œuvre de ces deux mécanismes est étendue aux déclarations préalables et devient possible même après l’achèvement des travaux ».

La refonte opérée par l’article 80 4° et 5° de la loi ELAN des articles L. 600-5-1 et L. 600-5[5], doit emporter au moins quatre incidences principales sur les procédures de régularisation des autorisations d’occupation du sol.

1 – La possibilité de régulariser les non-oppositions à déclaration préalable

La rédaction de l’article L. 600-5-1 du Code de l’urbanisme issue de l’ordonnance du 18 juillet 2013 et en vigueur jusqu’à présent, ne renvoie qu’aux « permis construire, de démolir ou d’aménager », et pas aux arrêtés de non-oppositions à déclaration préalable, de sorte que l’illégalité d’une déclaration préalable n’est pas régularisable, comme cela a pu être rappelé à l’occasion de diverses réponses ministérielles (pour un exemple : Réponse ministérielle JO Sénat 20 fév. 2014 p. 475 à la Question ministérielle n° 08740 JO Sénat 17 oct. 2013 p.3006).

Aux termes de la rédaction issue de la loi ELAN, l’article L. 600-5-1 (comme d’ailleurs le futur article L. 600-5) renvoie pour la régularisation à la déclaration préalable : « le juge administratif qui, saisi de conclusions dirigées contre un permis de construire, de démolir ou d’aménager ou contre une décision de non-opposition à déclaration préalable ».

Ainsi, à compter de l’entrée en vigueur de la nouvelle rédaction de cet article du Code de l’urbanisme, il ne sera plus nécessaire de reprendre l’entière procédure de déclaration préalable pour régulariser un vice dont pourrait être entachée une telle autorisation.

2 – L’obligation pour le Juge administratif de mettre en œuvre ses pouvoirs issus de l’article L. 600-5-1 dès lors qu’il constate que le ou les vices sont régularisables

Tel qu’elle a été conçue à l’origine, l’utilisation de l’outil de régularisation entre les mains du Juge administratif était une simple faculté. En ce sens, l’article L. 600-5-1 prévoit que le juge « peut » surseoir à statuer.

Afin de donner davantage d’envergure à cet outil, et également d’inciter les juridictions administratives récalcitrantes à en faire usage, la loi ELAN transforme cette faculté en obligation :

« D’autre part, l’article L. 600-5-1 est rédigé pour transformer en obligation la faculté de recourir au sursis à statuer. Si le juge peut refuser de faire droit à des demandes d’annulation partielle ou de sursis à statuer, il doit alors modifier ce refus ».

Partant, le simple constat du caractère régularisable du ou des vices dont serait entachée une autorisation d’occupation des sols devra imposer au juge, saisi de la légalité de cette autorisation, de surseoir à statuer dans l’attente d’une régularisation de ces vices.

Le refus de faire droit à une telle demande devra être motivée. Cela devrait avoir une conséquence relativement importante. En effet, jusqu’à présent, et compte de la rédaction actuelle de l’article L. 600-5-1 du Code de l’urbanisme, le Conseil d’Etat a refusé de contrôler le refus des juges du fond de mettre en œuvre l’outil de régularisation.

En effet, le Conseil d’Etat juge que l’appréciation portée sur le caractère ou non régularisable d’un vice, et l’opportunité de surseoir à statuer relèvent de l’appréciation souveraine des juges du fond :

« L’exercice de la faculté de surseoir à statuer afin de permettre la régularisation du permis de construire faisant l’objet d’un recours pour excès de pouvoir, instituée par les dispositions citées au point 10 de l’article L. 600-5-1 du code de l’urbanisme, est un pouvoir propre du juge. Toutefois, lorsqu’il est saisi de conclusions tendant à la mise en œuvre de ces dispositions, la décision du juge du fond de faire droit à celles-ci ou de les rejeter relève de son appréciation souveraine, tant sur le caractère régularisable du vice entachant l’autorisation attaquée que sur l’exercice de la faculté, ouverte par l’article L. 600-5-1, de surseoir à statuer pour qu’il soit procédé à cette régularisation dans un délai qu’il lui appartient de fixer eu égard à son office, sous réserve du contrôle par le juge de cassation de l’erreur de droit et de la dénaturation » (CE, 22 déc. 2017, n° 402362 – voir également CE, 6 déc. 2017, n° 405839).

Or, le fait de muter la faculté en obligation devrait amener le Conseil d’Etat à modifier les conditions de son contrôle sur le caractère régularisable ou non d’un vice, et sur le refus de recourir au sursis à statuer. En effet, l’obligation de motivation d’un tel refus a pour objet notamment de pouvoir censurer un tel raisonnement.

On comprend que la motivation ne sera développée que dans le cas où les parties défenderesses auront, aux termes de leurs mémoires, sollicité, le cas échéant à titre subsidiaire, la mise en œuvre par le juge de l’article L. 600-5-1 en vue de la régularisation de l’autorisation. En l’absence d’une telle demande, le juge n’aurait semble-t-il pas à exposer le choix de son refus. On le sait, la mise en œuvre de cet article n’est pas conditionnée à une demande en ce sens des parties, puisque le juge peut de sa propre initiative surseoir à statuer. Toutefois, on peut envisager qu’en l’absence d’une demande des parties en 1ère instance ou en appel, il serait plus difficile d’articuler auprès du Conseil d’Etat un moyen tenant à la non mise en œuvre par les juges du fond des pouvoirs qu’ils tiennent de l’article L. 600-5-1.

Par conséquent, dans le cas où il apparaît au pétitionnaire et/ou à l’Administration que l’un des moyens d’annulation de l’autorisation pourrait être sérieux, il semble peut-être judicieux de demander, à titre subsidiaire, au juge de surseoir à statuer dans l’attente d’une régularisation, pour l’obliger à motiver le cas échéant le refus de la mise en œuvre de cet outil.

3 – L’élargissement de la forme que peut prendre l’acte de régularisation

Comme cela a été exposé précédemment, la rédaction actuelle de l’article L. 600-5-1 du Code de l’urbanisme puisqu’elle renvoie comme outil de la régularisation à un « permis modificatif » restreint nécessairement les vices régularisables à ceux susceptibles d’être compris dans un permis de construire modificatif.

Ainsi, les modifications de la construction le cas échéant nécessaires à la régularisation ne doivent pas remettre en cause la conception générale de la construction.

En ne renvoyant plus simplement à un « permis modificatif » mais désormais à une « mesure de régularisation », détaillée au futur article L. 600-5-2 comme pouvant être un « permis modificatif, une décision modificative ou une mesure de régularisation », il semble que le législateur a entendu élargir les facultés de régularisation, de sorte que les modifications qui pourraient être envisagées pour régulariser l’autorisation pourraient être bien plus larges que celles susceptibles d’être contenues dans un permis de construire modificatif.

4 – L’inscription dans la loi de la possibilité de régulariser même après l’achèvement des travaux

On l’a vu, le Conseil d’Etat a semblé hésiter sur la possibilité de régulariser des autorisations d’occupation du sol portant sur des constructions achevées. A cet égard, si les juges du Palais Royal ont semblé exclure dans un premier temps cette possibilité, ils  ont fini par l’admettre en février 2017 (CE, 22 fév. 2017, n° 392998).

La future rédaction de l’article L. 600-5-1 issue de la loi ELAN transpose dans le Code de l’urbanisme cette jurisprudence en prévoyant que la régularisation peut intervenir « même après l’achèvement des travaux », et prévoit la même chose pour l’article L. 600-5 du Code de l’urbanisme (pour lequel le Conseil d’Etat n’avait pas admis qu’une annulation partielle pouvait intervenir même après le constat de l’achèvement des travaux).

Cette nouvelle rédaction devrait mettre un terme aux divergences jurisprudentielles qui existent entre les Cours administratives d’appel. En effet, si certaines cours ont adopté le même raisonnement que le Conseil d’Etat en jugeant que l’achèvement des travaux ne devait pas empêcher la mise en œuvre de l’article L. 600-5-1 (CAA Bordeaux, 29 mars 2018, n° 15BX01143), d’autres résistent en continuant à rechercher si les travaux objets de l’autorisation attaquée sont ou non achevés quand se pose la question du sursis à statuer (CAA Nantes, 29 juin 2018, n° 17NT02567 ; CE Versailles, 29 mars 2018, n° 16VE02775), et refusent de mettre en œuvre l’article L. 600-5-1 quand elles constatent un tel achèvement (CAA Lyon, 19 déc. 2017, n° 15LY03417).

Par Céline LHERMINIER et Emmanuelle BARON

 

[1] Rapport « Construction et droit au recours pour un meilleur équilibre » http://www.cohesion-territoires.gouv.fr/IMG/pdf/Rapport_Labetoulle.pdf

[2] Rapport « Construction et droit au recours : pour un meilleur équilibre » – 25 avril 2013

[3] Rapport au ministre de la cohésion des territoires présenté par le groupe de travail présidé par Christine Maugüé, conseillère d’Etat « Propositions pour un contentieux des autorisations d’urbanisme plus rapide et plus efficace »

http://www.cohesion-territoires.gouv.fr/IMG/pdf/2018.01.11_rapport_contentieux_des_autorisations_d_urbanisme.pdf

[4] http://www.assemblee-nationale.fr/15/projets/pl0846-ei.asp#TopOfPage

[5] http://www.senat.fr/petite-loi-ameli/2017-2018/721.html