le 18/03/2020

La loi Sapin II et les acteurs publics : recommandations de l’Agence française anticorruption (AFA) et bilan de ses actions

Par la loi n° 2016-1691 du 9 décembre 2016 relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique, dite Loi Sapin II, le législateur a souhaité porter la législation française au niveau des meilleurs standards européens et internationaux dans la lutte contre la corruption, et contribuer à développer une image positive de la France à l’international. Son ambition affichée était en outre de répondre aux aspirations des Français quant à la transparence, à l’éthique et à la justice en matière économique. 

Aux termes de son article 3-2°, la Loi a ainsi notamment confié à l’Agence française anticorruption (AFA) la charge d’élaborer « des recommandations destinées à aider les personnes morales de droit public et de droit privé à prévenir et à détecter les faits de corruption, de trafic d’influence, de concussion, de prise illégale d’intérêt, de détournement de fonds publics et de favoritisme ». Ces recommandations complètent le dispositif mis en place par la loi du 9 décembre 2016 et constituent ainsi le référentiel anticorruption français.  

Elles sont applicables sur l’ensemble du territoire de la République et sont destinées à toutes les personnes morales de droit privé – sociétés anonymes, sociétés par actions simplifiées, sociétés à responsabilité limitée, groupement d’intérêt économique (GIE), fondations, associations, etc. – ou de droit public – Etat (pouvoirs publics constitutionnels, administrations centrales, administrations déconcentrées, services à compétence nationale, autorités administratives indépendantes …), collectivités territoriales et leurs groupements, établissements publics, groupements d’intérêt public (GIP), sociétés publiques y compris locales, sociétés d’économie mixte – quels que soient leur taille, leur forme sociale, leur secteur d’activité, leur chiffre d’affaires ou l’importance de leurs effectifs. Compte tenu des enjeux auxquelles elles permettent de répondre, les recommandations de l’AFA s’adressent également à toutes les entités non dotées de la personnalité morale. 

Les recommandations de l’AFA, si elles font l’objet d’une publication au Journal Officiel, sont à proprement parler dépourvues de force obligatoire et ne créent pas d’obligation juridique. En revanche, elles constituent le support des contrôles opérés par l’AFA, lesquels sont principalement déclenchés à l’initiative et à la discrétion de son Président et peuvent déboucher, le cas échéant, sur un signalement au Procureur de faits pouvant relever d’une qualification pénale.   

 

1 – La teneur des recommandations AFA à l’attention des acteurs publics. Les acteurs publics sont assujettis à un ensemble de dispositions qui, directement ou indirectement, les soumettent à des obligations en matière de prévention et de détection des atteintes à la probité. Toutefois, pour être efficaces, ces règles doivent être complétées et intégrées dans un dispositif global de prévention et de détection dont la mise en place incombe aux acteurs publics. 

En l’absence de précisions données à l’article 3 de la loi du 9 décembre 2016 précitée quant au contenu de ces dispositifs anticorruption, l’AFA a fait le choix d’une analogie avec les dispositions prévues à l’article 17 de la Loi.  

Ainsi, il est recommandé aux responsables des organisations du secteur public, aux plus hauts niveaux :  

    • De s’investir dans la mise en œuvre d’un dispositif anticorruption, notamment en s’engageant publiquement sur une politique de tolérance zéro envers tout comportement contraire à l’intégrité et à la probité (Art. 25 de la Loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires) ; 
    • D’avoir un comportement personnel exemplaire, en paroles comme en actes, en matière d’intégrité et de probité : l’acceptation de cadeaux (à l’exception des cadeaux de valeur symbolique), l’utilisation abusive des moyens du service donnent des exemples négatifs et peuvent faciliter le passage à l’acte répréhensible chez les collaborateurs ;
    • D’encourager et de valoriser dans leurs équipes les comportements éthiques ;
    • De faire de la prévention et de la détection de la corruption une priorité explicite de l’organisation ;
    • De ne jamais relâcher leur vigilance : les responsables hiérarchiques doivent aussi prêter attention aux allusions et aux rumeurs venant de l’extérieur ainsi qu’aux informations anonymes, qu’il convient d’examiner avec discernement ; 
    • De faire, à des fins de dissuasion, un usage réel et proportionné des possibilités des sanctions disciplinaires prévues par le statut général de la fonction publique et/ou le code du travail. 
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Par ailleurs, il est recommandé aux acteurs publics de doter leur organisation d’un dispositif anticorruption adapté à ses risques propres et, le cas échéant, à ses spécificités. Ces mesures comprennent la mise en œuvre :  

    • D’un code de conduite définissant et illustrant les différents types de comportements à proscrire et précisant les modalités de prévention des conflits d’intérêts ; 
    • D’une cartographie des risques (identification, évaluation et hiérarchisation des risques de corruption inhérents aux compétences, activités et processus de l’entité en vue de leur maitrise) ; 
    • D’un dispositif de formation au risque d’atteintes à la probité ; 
    • D’une procédure d’évaluation des tiers (fournisseurs, partenaires, etc.) ; 
    • D’un dispositif d’alerte interne ; 
    • D’un régime disciplinaire permettant de sanctionner les agents ou les salariés de l’entité en cas de violation de ces règles ; 
    • De dispositifs de contrôle et d’évaluation interne. 

 

2 – Le bilan des missions de l’AFA. Le 21 juin 2019, l’AFA a publié son rapport d’activité pour l’année 2018.  

Sur l’ensemble de l’année, 43 contrôles d’initiative ont été diligentée par l’AFA dont 15 ont porté sur des acteurs publics ou associatifs (6 établissements publics opérateurs de l’Etat, 1 association reconnue d’utilité publique, 2 centres hospitaliers universitaires (CHU), 2 régions, 2 départements, 1 métropole, 1 société d’économie mixte locale). 

En outre, l’AFA a élaboré une charte de l’accompagnement des acteurs publics présentant les différentes actions mises en œuvre pour répondre aux besoins des acteurs qui déploient ou renforcent leur programme de prévention et de détection des faits de corruption.  

A ce titre, elle a accompagné 7 collectivités territoriales et établissements du secteur public local (1 commune de plus de 150.000 habitants, 1 commune de moins de 3.500 habitants, 2 départements, 2 communautés de commune, 1 syndicat technique).  

Autrement dit, l’AFA assure à la fois une mission de conseil et d’accompagnement d’entités et une mission de contrôle de conformité au regard de recommandations n’ayant pas de force contraignante. Si l’agence affirme veiller au respect d’un strict cloisonnement entre ses activités de conseil et de contrôle, l’ambiguïté sur ses véritables intentions demeurent.  

A l’occasion des contrôles opérés chez certains acteurs du secteur public local, l’AFA indique avoir constaté que peu de collectivités territoriales disposaient d’un plan global anticorruption. Les principales lacunes constatées porteraient sur l’absence de code de conduite, sur les pratiques relatives aux cadeaux, invitations et autres avantages ainsi que sur les conflits d’intérêts

L’AFA recommande à l’ensemble des acteurs publics d’élaborer une politique encadrant les modalités d’acceptation des cadeaux et invitations. Cette politique peut être reprise, en tout ou partie, dans le code de conduite. Par ailleurs, la création d’un registre permettant de tracer la nature des cadeaux reçus ou offerts, leur montant, leur fréquence, leur provenance est préconisée ainsi que tous autres éléments utiles à la prévention des conflits d’intérêts.  

Il n’est pas inutile de rappeler ici que les relations de proximité entre Collectivités territoriales et organismes satellites, vertueuses et utiles dans leur principe, sont évidemment porteuses de risques particuliers. La prévention des atteintes au devoir de probité suppose ainsi l’identification des risques de conflits d’intérêts dans le cadre d’une cartographie, et leur prise en compte par le code de conduite. La situation de conflit d’intérêts voire de prise illégale d’intérêts (Art. 432-12 Code pénal) créée une apparence de partialité préjudiciable à la fonction et à la mission remplies par l’agent public ; c’est la raison pour laquelle la Loi du 20 avril 2016 a renforcé les mécanismes pour les prévenir et les faire cesser.  

S’agissant des mécanismes de déport comme des obligations de déclaration d’intérêts, il est recommandé que les entités publiques concernées informent les personnes concernées de leurs obligations et des sanctions encourues et précisent, voire formalisent les procédures applicables afin de s’assurer du respect effectif de ces obligations.  

 

Par ailleurs, l’AFA recommande aux entités publiques, s’agissant des cumuls d’activités, d’informer les agents sur le cadre juridique et de se doter de procédures précisant les modalités de traitement des demandes d’autorisation.  

Enfin, l’agence relève que peu d’entités publiques contrôlées informeraient leurs agents sur le cadre juridique entourant les risques liés au délit de pantouflage (Art. 432-13 Code pénal). Elle recommande ainsi aux entités publiques de communiquer auprès des agents sur les obligations en la matière et d’opérer un suivi des avis de la Haute Autorité pour la transparence de la Vie Publique (HATVP) (Ex-commission de déontologie de la fonction publique), voire aux entreprises recrutant un agent public de vérifier l’effectivité de la saisine de la commission de déontologie de la fonction publique, de s’assurer de la prise en compte effective des réserves éventuellement formulées, d’analyser les risques potentiels en matière de déontologie au regard des fonctions précédemment exercées et des fonctions proposées par le nouvel employeur, et de mettre en place un plan d’actions en considération de ces risques. 

Dans ces perspectives, la désignation d’un référent déontologue peut s’avérer essentielle. 

 

En conclusion, il faut retenir que les recommandations AFA constituent le support des contrôles opérés par l’agence. Dès lors, il est fortement recommandé aux acteurs publics de s’y conformer. 

D’ailleurs, les liens formés par l’agence en 2018 avec les parquets spécialisés en matière d’atteintes à la probité (parquet national financier (PNF), juridictions interrégionales spécialisées (JIRS), pôles économiques et financiers) témoignent de sa complémentarité avec l’action de l’autorité judiciaire et appellent à la prudence. En 2018, l’AFA a adressé cinq signalements, en application de l’article 40 du Code de procédure pénale, au PNF ainsi qu’aux parquets de Paris, de Marseille, de Nanterre et de Lille. Ont été notamment signalés des faits susceptibles de caractériser des atteintes à la probité comme les délits de corruption, détournements de fonds publics, favoritisme et prise illégale d’intérêts. 

 

Seban & Associés se tient à la disposition de tous les acteurs publics pour les accompagner dans l’élaboration des mesures préventives suggérées par l’AFA, comme pour les assister lors de ses contrôles. 

Par Sonia Kanoun