le 24/01/2019

La loi n° 2018-727 du 10 août 2018 pour un Etat au service d’une société de confiance : d’une administration qui contrôle à une administration qui accompagne ?

La loi n° 2018-727 du 10 août 2018 pour un Etat au service d'une société de confiance

La loi n° 2018-727 du 10 août 2018 Pour un Etat au service d’une société de confiance (dite « loi ESSOC ») comporte de nombreuses mesures telles que la généralisation du droit à l’erreur pour les administrés, l’introduction du principe « dites-le nous une fois » ou d’un référent unique par administration.

Prises individuellement, elles semblent comme autant de mesures visant à faciliter les relations entre les administrations et leurs usagers. Prises ensembles, elles semblent amorcer un déplacement du rôle de l’administration, privilégiant une logique d’accompagnement à la mise en conformité au lieu d’une logique de contrôle et de sanction. 

L’inflation normative est perçue, souvent à juste titre, comme un frein à l’activité économique, à l’efficacité des politiques publiques, ou une source d’insécurité juridique. Il est en tous cas indéniable qu’elle complexifie considérablement les relations entre l’administration et les entreprises ou particuliers.

La présente loi ne vise pas à déblayer ce maquis administratif comme le faisaient jadis les imposantes loi de simplification, mais à recentrer le rôle de l’administration autour d’une mission d’accompagnement à la mise en conformité. Revue des principales mesures de la loi.

Le droit à l’erreur et au contrôle.

La consécration du droit à l’erreur constitue en ce sens l’une des réponses de l’administration à l’inflation normative. Si l’on s’en réfère à l’étude d’impact du projet de loi, « la confiance qu’accordent les usagers à leurs services publics passe désormais par une transformation du rapport à l’usager, qui doit être davantage conseillé et accompagné dans ses démarches et moins systématiquement sanctionné lorsqu’il commet des erreurs réparables » (Etude d’impact, Projet de loi pour un Etat au service d’une société de confiance, 27 novembre 2017, NOR : CPAX1730519L/Bleue-2, p. 20). S’il existait déjà, de façon éparse, un certain nombre de dispositifs facilitant les relations entre public et administration, notamment dans le domaine fiscal ou en matière de sécurité sociale, la présente loi généralise le droit à l’erreur des usagers dans leurs relations avec les administrations.

Elle introduit un nouveau chapitre au sein du Code des relations entre le public et l’administration (ci-après « CRPA »), intitulé « droit à la régularisation en cas d’erreur » et comprenant deux nouveaux articles, L. 123-1 et L. 123-2. Dans les faits, la personne ne pourra pas être sanctionnée si elle a méconnu une règle applicable à sa situation ou si elle a commis une erreur matérielle à l’occasion du renseignement de sa situation dès lors que l’erreur est commise pour la première fois, que la personne est de bonne foi, qu’elle  régularise la situation d’elle-même ou à la demande de l’administration dans le délai demandé. Précisons enfin, signe supplémentaire de bonne volonté du législateur, que la charge de la preuve de la mauvaise foi de la personne est supportée par l’administration en cas de contestation.

Seule ombre à ce beau tableau, le droit à l’erreur ne s’applique pas à quatre types de sanctions : celles requises pour la mise en œuvre du droit de l’UE ; celles prononcées en cas de manquement à une règle visant à préserver la santé publique, la sécurité et l’environnement ; celles prévues par un contrat ; celles prononcées par les autorités de contrôle.

Ce dispositif est complété par l’introduction d’un nouveau droit au contrôle aux articles L. 124-1 et L. 124-2 du CRPA. L’objectif est de transformer le contrôle en un outil d’accompagnement à la mise en conformité : l’usager pourra, à sa demande, faire valider ses pratiques ou être accompagné dans leur correction. Les préconisations soulevées par l’administration à cette occasion lui seront opposables mais les manquements soulevés à cette occasion ne donneront plus lieu à sanction. Pris ensemble, le droit à l’erreur et le droit au contrôle doivent, selon le gouvernement, « réorienter la vocation du contrôle vers le conseil et l’accompagnement des administrés ».

« Dites-le nous une fois » : un principe enfin effectif ?  

L’idée est simple, mais elle n’est pas neuve : il s’agit de ne plus avoir à fournir à l’administration un document qui lui a déjà été communiqué si la situation de l’administré n’a pas évolué. Le principe du « dites-le nous une fois » avait déjà été intégré aux articles L. 113-12 et L.. 113-13 du CRPA par la loi du 12 avril 2000, puis étendu aux particuliers par la loi du 7 octobre 2016 pour une République numérique.

La présente loi a apporté plusieurs modifications au principe, en supprimant l’obligation qui pesait sur la personne demandant les informations d’indiquer à l’administration le lieu et la période de production du document, et en limitant les possibilités laissées à l’administration de se soustraire au régime. Désormais, elles devront pour cela justifier d’une impossibilité technique ou d’une raison liée à la nature des données transmises.

Ce type de disposition est cependant susceptible d’entrer en contradiction avec la logique du Règlement général sur la protection des données (« RGPD ») qui vise, notamment, à restreindre au maximum le nombre de destinataires d’une donnée personnelle.

Le rescrit administratif.

Le rescrit est défini par le Conseil d’Etat comme une « prise de position formelle de l’administration sur l’application d’une norme à une situation de fait décrite loyalement » (Conseil d’Etat, étude Le rescrit : sécuriser les initiatives et les projets, 14 novembre 2013). Il vise à renforcer la sécurité juridique des usagers dans certains domaines (certaines procédures fiscales, domaine de la sécurité sociale, code des douanes, plus récemment dans l’occupation du domaine public, certains aspect du droit du travail, etc.).

L’outil ne cessant de se développer, le législateur a profité de cette loi pour en généraliser l’application et en harmoniser la mise en œuvre. D’une part, il l’étend à de nouvelles procédures, du Code de l’urbanisme, du Code de l’environnement, du Code du patrimoine, du Code du travail, du Code de commerce, du Code de la consommation. D’autre part, il prévoit que, dans les cas où le demandeur peut joindre à sa demande un projet de prise de position, l’administration est tenue de lui apporter une réponse dans les trois mois, faute de quoi le projet de l’administré est réputé approuvé. 

En cohérence, la loi inscrit au CRPA le principe d’opposabilité des instructions ministérielles et des circulaires, prévoyant que « toute personne peut se prévaloir de l’interprétation d’une règle, même erronée, opérée par ces documents pour son application à une situation qui n’affecte pas des tiers, tant que cette interprétation n’a pas été modifiée »(article L. 312-3 du CRPA). Seules exceptions à ce principe : s’agissant des domaines de la santé publique, de la sécurité et de l’environnement, il ne peut être fait obstacle à des dispositions d’ordre réglementaire ou législatif.

Des référents uniques au sein des services publics.

Dès lors qu’il doit entrer en relation avec des personnes publiques, l’usager ou administré rencontre une multitude d’interlocuteurs différents, nuisant parfois à l’efficacité des dispositifs et source de perte de temps. 

Le référent unique créé par l’article 29 de la présente loi vise, dès lors, à constituer une seule interface par administration à destination de l’usager dans sa relation à l’administration et aux services publics. Compte tenu des modifications qu’implique la mise en œuvre de cette mesure, le législateur a préféré en faire une expérimentation, pour une durée de quatre ans.

La délivrance de certificats d’information.

Considérant que le grand nombre de normes de toutes natures peut être « source de complexité et d’insécurité juridique », le gouvernement a entendu créer un « droit nouveau », consistant pour l’administration « à indiquer l’ensemble des normes régissant spécifiquement une activité à un instant donné ».

Ce dispositif est intégré à l’article L. 114-11 du CRPA et s’applique à tous les usagers, qui peuvent obtenir, « préalablement à l’exercice de certaines activités, une information sur l’existence et le contenu des règles régissant cette activité ». Concrètement, l’administration doit alors, sous peine d’engager sa responsabilité, délivrer le certificat d’information portant sur les règles qu’elle applique.

En revanche, le destinataire du certificat ne pourra l’opposer à l’administration pour justifier de l’inapplication d’une règle. Le dispositif présente ainsi l’équilibre suivant : l’administration répond aux demandes avec sérieux car sa responsabilité peut être engagée ; mais l’applicabilité des normes en question ne dépend pas de la célérité des administrations à les mentionner dans le certificat.

Une définition amendée de la notion de représentant d’intérêt.

Cette mesure n’est pas dans le cœur du sujet présentement développé (l’opposition avait dénoncé un cavalier législatif), pour autant, elle est ici présentée car elle est intégrée à la loi et concerne directement les élus locaux.

Jusqu’à présent, les associations cultuelles étaient exclues de la liste des représentants d’intérêts uniquement « dans le cadre de leurs relations avec le ministre et les services ministériels chargés des cultes »(article 18-2 de la loi n° 2013-907 du 11 octobre 2013 relative à la transparence de la vie publique). La loi ici commentée supprime cette dernière mention, excluant de ce fait l’ensemble des associations cultuelles de la liste des représentants d’intérêts.

Les représentants des associations cultuelles ne seront ainsi plus tenus au respect des obligations de déontologie et de transparence les obligeant, par exemple, à rendre public un certain nombre d’informations relatives à leurs activités de représentation d’intérêts. Cette mesure, qui peut sembler regrettable, avait suscité d’importants débats lors de son examen au parlement.

Par Thomas Chevandier