le 11/03/2015

La durée dans les concessions de distribution publique d’électricité

Issu de l’article 40 de la loi du 29 janvier 1993 relative à la prévention de la corruption et à la transparence de la vie économique et des procédures publiques, dite « loi Sapin », l’article L. 1411-2 du Code général des collectivités territoriales pose le principe de la limitation dans le temps des conventions de délégation de service public. Plus particulièrement, la durée de ces conventions doit être « fonction des prestations demandées au délégataire ». Cependant, l’article L. 1411-12 du Code général des collectivités territoriales précise que ces dispositions « ne s’appliquent pas aux délégations de service public […] lorsque la loi institue un monopole au profit d’une entreprise ».

En matière de distribution publique d’électricité, en vertu de l’article L. 111-52 du Code de l’énergie, la société ERDF et les Entreprises locales de distribution sont désignées gestionnaires des réseaux publics de distribution d’électricité dans leur zone de desserte exclusive. Cette désignation par la loi des gestionnaires de réseau coexiste avec le principe de la concession locale du service public de la distribution d’électricité par les autorités organisatrices des réseaux de distribution, réaffirmé par l’article L. 2224-31 du Code général des collectivités territoriales.

Or, le monopole ainsi assuré à la société ERDF et aux entreprises locales de distribution dans leur zone de desserte exclusive n’est pas limité dans le temps. Ce faisant, on pourrait penser qu’aucune limitation de durée ne s’impose, en droit français, aux contrats locaux de concession de distribution publique d’électricité. Pourtant, l’analyse du droit positif en la matière atteste l’existence d’un encadrement de la durée des concessions de distribution publique d’électricité (I) et la nécessité, pour les parties au contrat, de justifier la durée contractuellement retenue (II). 

I. – L’existence d’un encadrement de la durée des concessions de distribution publique d’électricité

Loin d’être soustraites à tout encadrement de leur durée, les concessions de distribution publique d’électricité peuvent être soumises à des principes communs à l’ensemble des délégations de service public dès lors qu’elles sont conclues hors monopole (A) et elles doivent, de façon générale, respecter le droit de l’Union (B).

A.- L’encadrement de la durée hors monopole

En raison du monopole prévu par la loi pour les gestionnaires de réseau, les principes posés par la « loi Sapin » ne s’imposent pas aux concessions de distribution publique d’électricité. On relèvera néanmoins, que ce monopole, qui vaut pour le territoire métropolitain, n’a pas été étendu à l’ensemble des zones non interconnectées au territoire, comme en témoigne l’exemple de la Polynésie française. En effet, faisant partie des zones non interconnectées au réseau métropolitain continental, le territoire de la Polynésie française n’avait pas été concerné par la loi n° 46-628 du 8 avril 1946 sur la nationalisation de l’électricité et du gaz, pas davantage que par la loi n° 75-1975 du 11 juillet 1975 relative à la nationalisation de l’électricité dans les départements d’outre-mer. En conséquence, la distribution d’électricité sur l’île ne fait l’objet d’aucun monopole en droit, bien que dans les faits, les contrats de concessions soient, pour l’essentiel, conclus depuis plusieurs années avec une même entité, la société Électricité de Tahiti (EDT), aujourd’hui filiale du groupe GDF-Suez. Par ailleurs, bien que la loi du 29 janvier 1993 ne soit pas applicable en Polynésie française, une loi de pays n° 2009-21 du 7 décembre 2009, prise en application de la loi organique du 27 février 2004 portant statut d’autonomie de la Polynésie française, soumet les délégations de service public de la Polynésie française et de ses établissements publics à un régime juridique analogue à celui posé par cette loi.

C’est dans ce cadre que la Cour administrative d’appel de Paris a dû connaître d’un avenant à une concession de distribution publique d’électricité conclue en Polynésie française, antérieurement à l’entrée en vigueur de la loi de pays du 7 décembre 2009. La Cour avait jugé que l’avenant litigieux prorogeant la concession de distribution pour une durée supplémentaire de 16 ans et 9 mois par rapport à une durée initiale de 25 ans modifiait « substantiellement la durée de la concession, élément essentiel de la délégation de service public, et (était) donc entaché sur ce point d’illégalité ». Au regard de ces éléments, elle avait estimé qu’il s’agissait en réalité d’un nouveau contrat qui aurait dû faire l’objet, en application des principes généraux de la commande publique, d’une procédure d’attribution transparente (CAA Paris, 9 mai 2012, SECOSUD, n° 10PA04297). Il en résulte que la nature propre à l’activité de distribution publique d’électricité ne justifie en rien que la durée des contrats de concession soit fixée ou modifiée de façon arbitraire. Seul le monopole établi par la loi est en mesure, au niveau du territoire métropolitain, de faire échec à l’application des principes issus de la loi du 29 janvier 1993. Néanmoins, même dans ce cas, la durée de ces concessions doit respecter le droit de l’Union européenne.

B.-  L’encadrement par le droit de l’Union malgré le monopole

En matière de distribution publique d’électricité, la conclusion des concessions de service public est encadrée par le droit de l’Union européenne. Plus précisément, s’agissant de la durée, l’article 24 de la directive 2009/72/CE du Parlement Européen et du Conseil du 13 juillet 2009 concernant des règles communes pour le marché intérieur de l’électricité dispose que « les États membres désignent, ou demandent aux entreprises propriétaires ou responsables de réseaux de distribution de désigner, pour une durée à déterminer par les États membres en fonction de considérations d’efficacité et d’équilibre économique, un ou plusieurs gestionnaires de réseau de distribution […] ». Ce texte indique que la désignation des gestionnaires de réseaux a lieu pour une durée limitée, et que celle-ci ne peut être fixée arbitrairement. Elle doit être déterminée en fonction de considérations d’efficacité et d’équilibre économique. Cela conduit, peu ou prou, à calculer la durée en fonction d’éléments objectifs et principalement les investissements mis à la charge du concessionnaire.

Dès lors, la question s’est posée de la compatibilité aux dispositions de l’article 24 de la directive du 13 juillet 2009, du monopole confié sans délai par la loi à la société ERDF et aux Entreprises locales de distribution. Saisie de la légalité de la délibération autorisant le maire de Paris à conclure un avenant prorogeant la concession de la ville de Paris, la Cour administrative d’appel de Paris a jugé, à propos des dispositions de l’article 13 de la directive n° 2003/54/CE du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2003 concernant des règles communes pour le marché intérieur de l’électricité, rédigée en des termes identiques à l’article 24 précité, que « la circonstance que les dispositions légales précitées instituant ces droits exclusifs ne précisent pas la durée pendant laquelle EDF et les distributeurs non nationalisés sont désignés comme gestionnaires du réseau est sans effet sur leur compatibilité avec les dispositions précitées de la directive, dès lors que, comme cela a bien été le cas en l’espèce, il appartient à chaque délégataire (sic.), sous le contrôle du juge, de fixer un terme à la concession » (CAA Paris, 25 février 2013, Claustre, n° 12PA00593). Ainsi, le juge administratif considère que la désignation sans durée des gestionnaires de réseau par la loi ne rend pas ce monopole incompatible avec les dispositions de l’article 24 dès lors précisément que c’est au stade de la négociation de chaque contrat de concession qu’une durée est fixée.

Un tel raisonnement conduit à considérer que l’article 24 s’applique aux autorités concédantes en tant qu’elles concèdent localement l’exploitation des réseaux publics de distribution d’électricité qui leur appartiennent. Il leur incombe donc, lorsqu’elles négocient et concluent les contrats de concession, de respecter l’obligation, posée par ladite directive, de déterminer la durée de ceux-ci en fonction de considérations d’efficacité et d’équilibre économique.

II.- La nécessité de justifier de la durée des concessions de distribution publique d’électricité

L’application de l’article 24 de la directive du 13 juillet 2009 conduit le juge à effectuer un contrôle de la durée retenue par les parties (A), celle-ci devant s’insérer dans l’économie globale de la concession (B).

A.- Une durée contrôlée par le juge 

En matière de distribution publique d’électricité, ainsi qu’on l’a vu, l’article 24 de la directive du 13 juillet 2009 impose aux parties de déterminer la durée du contrat en fonction de données objectives. Dans sa dernière version, le modèle de cahier des charges négocié au plan national par la FNCCR et la société ERDF précise, sous l’article 30 relatif à la durée du contrat, que « compte tenu de l’équilibre nécessaire entre les diverses dispositions du cahier des charges, et notamment celles créant des droits et obligations à la charge du concessionnaire, la durée minimale de la concession est  normalement comprise entre 20 et 30 ans ». Pour autant, il ressort de la jurisprudence que la durée choisie doit être justifiée par des considérations issues de chaque contrat.

Ainsi, amené à juger de la légalité d’une concession de distribution d’une durée de trente ans dont plusieurs actes détachables étaient contestés devant lui, le tribunal administratif de Nancy (Tribunal administratif de Nancy, 14 mai 2013, n° 1101956 et suivants) avait relevé, comme l’avait fait la Cour administrative d’appel de Paris, qu’il appartient à chaque autorité concédante, en application de l’article 24 précité, de fixer, sous le contrôle du juge, la durée du contrat de concession au regard des considérations d’efficacité et d’équilibre économique propres à la justifier. Le Tribunal avait relevé en l’espèce que « pour expliquer la durée de trente ans retenue pour la concession à la société ERDF du réseau de distribution d’électricité, cette dernière et la Communauté urbaine du Grand Nancy font valoir, d’une part, l’obligation souscrite de supprimer près de 200 kilomètres de câbles haute tension « A » de plus de 40 ans et près de 180 kilomètres de câbles basse tension de plus de 50 ans et, d’autre part, l’installation, entre 2013 et 2020, de nouveaux compteurs dont la durée d’amortissement est de 20 ans ». Il avait jugé « qu’eu égard à la nature et à l’importance de ces investissements et de ceux retracés à l’article 3 de l’annexe 1 bis au contrat litigieux, il ne ressort pas des pièces du dossier que la durée de trente ans fixée par les parties serait excessive au regard des contraintes d’efficacité et d’équilibre économique liées à ces mêmes investissements ». Le principe du contrôle du juge sur la durée du contrat de concession est ainsi clairement affirmé.

B.- Une durée liée à l’économie globale de la concession

Reprenant le raisonnement du Tribunal en le développant, la Cour administrative d’appel de Nancy a posé le cadre selon lequel doit se calculer la durée d’un contrat de concession de distribution publique d’électricité dans un arrêt M. Mietkiewicz et autres (CAA Nancy, 12 mai 2014, M. Mietkiewicz et autres, n° 13NC01303 et suivants), devenu définitif. Se fondant expressément sur l’article 24 de la directive 2009/72/CE, elle a jugé « qu’aux termes de l’article 3 de l’annexe 1 bis, intitulée " schémas directeurs des investissements et programmes pluri annuels ", qui est annexée au cahier des charges qui régit la convention, ERDF s’engage à renouveler annuellement pendant les quinze premières années de la convention une douzaine de kilomètres de câbles HTA de plus de 40 ans, soit 180 kilomètres sur les 670 kilomètres que compte le réseau, et à la " résorption totale des câbles papier imprégné à la fin du contrat " ; que, par ailleurs, sur le réseau basse tension, ERDF supprimera le réseau en fil nu d’une longueur de 70 kilomètres sur la durée du contrat ; qu’il n’est pas contesté que, pour maintenir l’âge moyen du réseau à son niveau de 2010, les investissements réalisés s’élèveront annuellement à 2,7 millions d’euros contre 1,8 millions d’euros au cours de l’exécution de la précédente convention ; qu’ERDF ne pouvant augmenter unilatéralement le montant de ses ressources, qui sont constituées à 90 % par le produit du tarif d’utilisation des réseaux publics de distribution d’électricité (TURPE), prévu par l’article L. 341-2 du code de l’énergie et fixé par la commission de régulation de l’énergie en application de l’article L. 341-3 du même code, elle devait disposer d’une durée de trente ans pour amortir les équipements mis en oeuvre progressivement au cours de cette période tout en entretenant le réseau existant et non renouvelé ».

Ainsi, la Cour a entendu, par un contrôle des investissements mis à la charge du concessionnaire, vérifier si la durée de trente ans pouvait se justifier. Et contrairement au juge de première instance, elle n’a pas tenu compte du déploiement des nouveaux dispositifs de comptage dits « intelligents », qui font l’objet d’un financement spécifique. Elle a également pris le soin de relever la hausse de la redevance annuelle de concession versée en contrepartie des travaux réalisés sur le réseau par le concédant. Ce dernier élément, qui ne vise aucun investissement à la charge du concessionnaire, a néanmoins trait à l’équilibre économique de la concession, considération dont l’article 24 permet de tenir compte pour déterminer la durée de la désignation des gestionnaires de réseau. Le contrôle effectué par le juge parait ainsi particulièrement affûté, et ce alors même qu’il est limité à l’erreur manifeste d’appréciation.

Indépendamment du contrôle de la justification de la durée du contrat, cette solution implique ainsi de déterminer l’équilibre économique de l’activité concédée, ce qui peut parfois être délicat, compte tenu des difficultés rencontrées par certaines autorités concédantes pour obtenir de leur concessionnaire les données financières de la concession. Cette solution semble donc appeler à une meilleure transparence de l’économie des concessions. Concrètement, un fléchage des financements affectés aux ouvrages concédés devrait pouvoir être établi et porté à la connaissance du concédant. On rappellera enfin que la durée du contrat n’est pas sans incidence sur le calcul de l’indemnité de sortie, prévue à l’article 31 du modèle de cahier des charges. La Cour administrative d’appel de Nancy a en effet rappelé que les parties peuvent prévoir une indemnisation du concessionnaire en fin de contrat dans l’hypothèse où la durée du contrat n’aurait pas permis l’amortissement de certains ouvrages. Dans ce cas, l’indemnisation a lieu à la valeur nette comptable des ouvrages (les modalités de calcul pouvant légèrement différer en cas de résiliation).

Malgré la très nette spécificité du droit applicable au secteur de la distribution publique d’électricité et les contraintes techniques propres à ce secteur, la jurisprudence tend à considérer que, comme tout contrat de délégation, les concessions de distribution publique d’électricité doivent être attribuées pour une durée qui soit directement liée à l’économie du contrat.