le 12/04/2018

Indemnisation du manque à gagner du titulaire d’un marché public résilié pour motif d’intérêt général et dont les prestations ont été réattribuées par un nouveau marché

CE, 26 mars 2018, Société Balineau , n° 401060

Dans la décision du 26 mars 2018, le Conseil d’Etat précise que l’évaluation du préjudice lié au manque à gagner résultant de la résiliation pour motif d’intérêt général d’un marché public (le « lucrum cessans ») peut valablement tenir compte des suites qui peuvent être données par le pouvoir adjudicateur à cette résiliation.

En février 2012, le Port autonome de la Nouvelle-Calédonie (PANC) avait attribué à un groupement momentané d’entreprises (GME), dont la société Balineau était co-traitante, un marché public de travaux portant sur la construction d’un nouveau quai du port de Nouméa.

Toutefois, le Tribunal de commerce de Nouméa constate, en septembre 2012, la résiliation partielle du marché public de travaux résultant de la défaillance de deux autres membres du GME. Tirant les conséquences de cette résiliation partielle du marché, le PANC décidait de résilier le solde des prestations restant à exécuter du marché public, et ce pour motif d’intérêt général.

Par une action en reprise des relations contractuelles devant le Tribunal administratif de Nouvelle-Calédonie, la société Balineau a contesté la mesure unilatérale de résiliation du PANC et, à titre subsidiaire, sollicité une indemnisation des préjudices qu’elle estime avoir subi à la suite de cette résiliation. Ces demandes ont été rejetées par deux jugements du Tribunal en date du 3 avril 2014 et du 19 février 2015. En appel, la société Balineau n’obtenait guère plus devant la Cour administrative d’appel de Paris aux termes d’un arrêt du 29 avril 2016.

Saisi d’un pourvoi en cassation contre cet arrêt, le Conseil d’Etat considère que : « lorsque le juge est saisi d’une demande d’indemnisation du manque à gagner résultant de la résiliation unilatérale d’un marché public pour motif d’intérêt général, il lui appartient, pour apprécier l’existence d’un préjudice et en évaluer le montant, de tenir compte du bénéfice que le requérant a, le cas échéant, tiré de la réalisation, en qualité de titulaire ou de sous-traitant d’un nouveau marché passé par le pouvoir adjudicateur, de tout ou partie des prestations qui lui avaient été confiées par le marché résilié ».

Et, dans de telles circonstances, il appartient au juge, selon la décision commentée, de surseoir à statuer sur l’existence et l’évaluation du préjudice né de la résiliation dans l’hypothèse où « le titulaire du marché résilié est susceptible d’être chargé, dans un délai raisonnable, de tout ou partie de ces prestations à l’occasion d’un nouveau marché ».

Afin d’apprécier au cas précis l’existence du bénéfice manqué par la société Balineau, le Conseil d’Etat a estimé que le bénéfice que la société requérante a réalisé, en tant que sous-traitante, pour des prestations identiques à celles du marché résilié dans le cadre d’un nouveau marché public attribué par le PANC, pouvait être pris en compte sans erreur de droit.

En revanche, le Conseil d’Etat estime que, d’une part, le préjudice dont se prévaut la société Balineau ne peut être jugé comme éventuel au seul motif que le PANC n’aurait pas encore « décidé de renoncer à passer un nouveau marché pour les mêmes prestations, ni que la société ne pourrait être chargée d’exécuter tout ou partie de celles-ci », à la suite de la résiliation du second marché par la Cour administrative d’appel de Paris dans un arrêt du 25 mars 2016. D’autre part, le Conseil d’Etat considère que l’indemnisation des frais pour la préparation du chantier ne peut être refusée à la société Balineau puisque, même si ces frais étaient prévus au bordereau des prix unitaires du second marché, ils n’ont pas été réglés par le PANC.

Estimant que la Cour administrative d’appel de Paris a commis des erreurs de droit sur ces deux points, le Conseil d’Etat a annulé son arrêt et lui a renvoyé le jugement de l’affaire au fond.