le 08/11/2018

Illustration de l’interprétation du contrat de concession de distribution d’électricité et de ses conventions associées par le juge administratif

CAA Douai, 11 octobre 2018, Cne de Douai, n° 16DA01339

Après avoir donné lieu à une décision majeure relative, notamment, à la qualification de bien de retour d’une délégation de service public et à l’inventaire desdits biens que le concédant est en mesure d’exiger de son délégataire (CE, Ass., 21 décembre 2012, Cne de Douai c/ ERDF, n° 342788), les relations contractuelles existant entre la commune de Douai et les sociétés concessionnaires de la distribution publique d’électricité et de la fourniture d’électricité aux tarifs réglementés de vente continuent de nourrir le contentieux administratif.

Ainsi, par un arrêt du 11 octobre 2018, la Cour administrative d’appel de Douai a fourni de très intéressantes précisions concernant l’interprétation du contrat de concession relatif à la distribution publique d’électricité et des conventions qui sont souvent conclues en marge de celui-ci.

La commune de Douai avait conclu avec la société Saint-Quentinoise d’éclairage et de chauffage un contrat de concession du service public de la distribution de l’électricité sur son territoire pour une durée de quarante ans par contrat de concession du 17 décembre 1923, entré en vigueur le 9 janvier 1924. Les Parties avaient également conclu le même jour une convention pour l’éclairage public prévoyant, au titre des conditions tarifaires, la fourniture à la ville par le concessionnaire d’une gratuité partielle d’électricité au regard des besoins constatés en 1923. Electricité de France (EDF) a ensuite été substituée à cette société, comme titulaire du contrat de concession, par application de la loi du 8 avril 1946 portant nationalisation et création d’un monopole pour le transport et la distribution de l’électricité en France. Par la suite, c’est la société ErDF, devenue Enedis, qui s’est elle-même substituée à la société EDF au titre de la mission de distribution d’électricité.

Par un avenant au contrat de concession du 29 mai 1952, approuvé par le préfet le 27 mars 1953, adopté dans un contexte de rénovation de l’éclairage public et d’augmentation de sa puissance, les parties ont décidé « d’annuler » la convention d’éclairage public du 17 décembre 1923 et d’intégrer notamment les avantages tarifaires consentis dans l’article 12 du cahier des charges modifié. Cet avenant prévoyait ainsi que la commune qui « s’engage à prendre au concessionnaire toute l’énergie électrique nécessaire à ses services » bénéficierait d’une réduction de 20 à 25 % sur le tarif applicable aux particuliers pour l’éclairage des voies publiques et des bâtiments communaux. Il était également prévu par l’avenant que la ville de Douai bénéficierait de 105 000 kwh gratuits pour l’année 1952 avec une augmentation de 700 kwh par année à compter de 1953 et dans la limite de 25% de l’énergie totale fournie pour l’éclairage public. 

Le concessionnaire a cessé, à compter de l’expiration de la concession le 9 janvier 1964, d’appliquer les remises tarifaires susmentionnées à la commune de Douai. Ladite commune a alors demandé à Electricité de France, puis au Tribunal administratif de Lille, que lui soit versée la somme de 10 479 853 euros, calculée à compter de l’année 1984 (la raison de ce choix ne résulte pas clairement de l’arrêt) au titre des remises non appliquées. Le Tribunal administratif de Lille a rejeté ces demandes dans un jugement du 23 mai 2016 contre lequel la commune a interjeté appel devant la CAA de Douai.

La Cour administrative de Douai confirme le jugement de première instance au terme d’un arrêt particulièrement intéressant quant aux méthodes mises en œuvre par le juge pour interpréter la convention.

Le cœur du débat portait en effet sur l’identification des règles applicables dans le temps, aucune des parties ne semblait en effet en mesure de retracer avec certitude la succession des avenants et autres actes contractuels adoptés.

Pour identifier ces règles, le juge administratif procède à une analyse fine de l’ensemble des actes à sa disposition (notamment une délibération adoptée par la commune concomitamment à l’engagement de négociations portant sur l’élaboration d’un nouveau contrat de concession ou encore les échanges de courriers qui lui ont été produits par les parties) et se réfère à la « commune intention des parties » qui n’était pas, selon lui, « de maintenir les avantages tarifaires antérieurement consentis au-delà du 9 janvier 1964 ».

On relèvera en outre que dans le cadre de ce travail de reconstitution du cadre contractuel applicable au fil du temps, la CAA de Douai a prononcé une mesure d’instruction destinée à obtenir la communication par la commune de Douai de la convention qui serait entrée en vigueur à compter de 1964, mais sans succès.

Le juge se réfère également, à la « pratique constante » des Parties pour corroborer l’analyse de ce qu’il estime pouvoir faire de leur commune intention. Et, pour conclure à l’inapplicabilité des dispositions dont se prévalait la commune, le juge constate que ces avantages ont été abandonnés au profit d’autres avantages consentis à la collectivité.

Au final, la CAA donne raison à la société EDF et estime que l’avantage tarifaire dont la privation faisait l’objet de la demande indemnitaire présentée par la commune n’était pas dû par la société concessionnaire, d’autres mécanismes tarifaires ayant, au fil du temps, été intégrés dans le contrat et s’étant substitué audit mécanisme.

Cet arrêt témoigne enfin de l’importance de réaliser, préalablement à toute renégociation d’un contrat de concession, à un audit exhaustif des obligations contenues, dans le cahier des charges et ses annexes en premier lieu, mais également dans l’ensemble des conventions qui s’y ajoutent. Selon les territoires en effet un certain nombre d’obligations, importantes pour l’autorité concédante peuvent figurer dans ces actes annexes.