le 15/10/2020

Habitat indigne, une clarification tant attendue

L’article 198 de la loi n° 2018-1021 du 23 novembre 2018 portant évolution du logement, de l’ménagement et du numérique, dite loi ELAN,  autorisait le gouvernement à prendre toute mesure relevant du domaine de la loi destinée à améliorer et renforcer la lutte contre l’habitat indigne à compter du 1er janvier 2021. Trois objectifs étaient énoncés par cet article :

  • harmoniser et simplifier les procédures administratives ;

  • répondre plus rapidement à l’urgence en précisant les pouvoirs du maire ;

  • favoriser l’organisation au niveau intercommunal des outils et moyens de lutte contre l’habitat indigne.

 

L’ordonnance n° 2020-1144 du 16 septembre 2020 relative à l’harmonisation et à la simplification des polices des immeubles, locaux et installations[1] semble répondre à ces objectifs dès lors qu’elle réunit au sein d’une même police clarifiée, celle de la sécurité et de la salubrité des immeubles bâtis (I).

A ce jour, et jusqu’à l’entrée en vigueur de l’ordonnance le 1er janvier 2021, plus d’une dizaine de procédures existent, disséminées dans le Code la santé publique et dans celui de de la construction et l’habitation, rendant complexe l’indentification du texte applicable ce qui peut entrainer une fragilité juridique des décisions prises sur le fondement de ces textes. Ainsi, l’objectif de protection de la sécurité publique pouvait se trouver entravé du fait de cette complexité et de la longueur de certaines procédures souvent incompatible avec l’impératif d’urgence qui s’impose généralement.

Par ailleurs, l’objectif de voir gérer ses problématiques sensibles à l’échelon intercommunal devrait effectivement être atteint dès lors qu’il sera désormais plus difficile pour les présidents d’EPCI de refuser de se voir transmettre cette compétence (II).

 

 

I – Création d’une police spéciale de la sécurité et de la salubrité

 

A –  Objet de la nouvelle police spéciale

L’ordonnance vient uniformiser les procédures éparses sous un chapitre unique du code de la construction et de l’habitation intitulé « Livre V LUTTE CONTRE L’HABITAT INDIGNE ».

Le nouvel article L. 511-2 du Code de construction et de l’habitation (CCH) énonce les situations dans lesquelles la nouvelle police unique a vocation à s’appliquer à savoir :

  1. Les risques présentés par les murs, bâtiments ou édifices quelconques qui n’offrent pas les garanties de solidité nécessaires au maintien de la sécurité des occupants et des tiers ;
  2. Le fonctionnement défectueux ou le défaut d’entretien des équipements communs d’un immeuble collectif à usage principal d’habitation, lorsqu’il est de nature à créer des risques sérieux pour la sécurité des occupants ou des tiers ou à compromettre gravement leurs conditions d’habitation ou d’utilisation ;
  3. L’entreposage, dans un local attenant ou compris dans un immeuble collectif à usage principal d’habitation, de matières explosives ou inflammables, lorsqu’il est en infraction avec les règles de sécurité applicables ou de nature à créer des risques sérieux pour la sécurité des occupants ou des tiers ;
  4. L’insalubrité, telle qu’elle est définie aux articles L. 1331-22 et L. 1331-23 du Code de la santé publique.

 

Le nouvel article 511-4 du CCH prévoit expressément que le maire ou le président de l’EPCI demeurent compétents dans les trois premiers cas à savoir les situations de risques liés à la sécurité, le préfet restant compétent en matière d’insalubrité pour les risques d’atteinte à la santé. L’ordonnance du 16 septembre 2020 maintient donc la répartition des pouvoirs entre les maires et les préfets.

S’agissant des pouvoirs dont dispose le maire, il y a lieu de noter dès à présent que la distinction existant auparavant selon que la cause du péril est inhérente ou extérieure au bâtiment n’a plus d’impact quant à la procédure à mettre en œuvre.

La difficulté qui existait quand les deux causes se cumulaient conduisait à devoir rechercher, avant toute décision, laquelle des deux causes était prépondérante pour déterminer le régime applicable, n’a désormais pu lieu d’être.

Le fameux arrêt « Commune de Badinières » énonçant ce principe a donc vécu (CE n° 259205).[2]

 

B – Simplification et uniformisation des procédures de mise en œuvre de la police spéciale

Les différentes procédures existantes à ce jour brillent par leur complexité et leurs modalités de mise en œuvre selon la nature du risque, sa gravité, son origine et l’autorité compétente.

Désormais, l’ordonnance du 16 septembre 2020 uniformise l’ensemble des procédures.

  1. Sur l’encadrement du droit de visite

L‘article L. 511-7 du CCH vient préciser pour la première fois les modalités des visites par les représentants des maires ou des préfets dans les lieux susceptibles des présenter des situations à l’article L. 511-2 du CCH.

Il est désormais prévu que « Lorsque les lieux sont à usage total ou partiel d’habitation, les visites ne peuvent être effectuées qu’entre 6 heures et 21 heures ». En cas de difficulté ou de refus d’accès l’intervention du juge des libertés ou de la détention est désormais prévue afin de permettre l’accès.

Cette intervention spécifique d’un magistrat dédié a le mérite d’envisager une procédure plus rapide que la saisine du juge des référés, cette procédure étant soumise à des délais relativement long au regard du contexte lequel nécessite des décisions rapides.

 

  1. Sur la possibilité de saisir la juridiction administrative

Si auparavant la saisine de la judication administrative aux fins d’obtenir la désignation d’un expert était un préalable obligatoire à la prise d’un arrêté de péril imminent (article L. 511-3 du CCH actuel), la saisine de la juridiction est désormais une simple possibilité, et ce quelle que soit la gravité du risque.

En effet, l’article L.511-9 dispose que « préalablement à l’adoption de l’arrêté de mise en sécurité, l’autorité compétente peut demander à la juridiction administrative la désignation d’un expert afin qu’il examine les bâtiments, dresse constat de leur état y compris celui des bâtiments mitoyens et propose des mesures de nature à mettre fin au danger. L’expert se prononce dans un délai de vingt-quatre heures à compter de sa désignation ».

Bien que les juridictions administratives aient contesté le bien-fondé de cette disposition qui, bien qu’il ne s’agisse pour l’autorité compétente qu’une simple possibilité, risque d’augmenter le nombre de saisines. En effet, l’intervention d’un homme de l’art devrait bien évidemment permettre à l’autorité compétente de s’appuyer sur ses conclusions afin de justifier techniquement le contenu d’un arrêté de mise en sécurité.

 

  1. Sur le déroulement de la procédure

La prise d’arrêté de mise en sécurité ou de traitement de l’insalubrité suivent désormais le même schéma à savoir :

  • une procédure contradictoire préalable avec la personne tenue d’exécuter les mesures qu’il s’agisse d’une personne physique ou morale (nouvel article L. 511-10 du CCH) ;
  • prescription des mesures devant être réalisées dans un délai imparti et nécessitées par les circonstances qui peuvent consister en :
    • la réparation ou toute autre mesure propre à remédier à la situation y compris, le cas échéant, pour préserver la solidité ou la salubrité des bâtiments contigus (L. 511-11-1°) ;
    • la démolition de tout ou partie de l’immeuble ou de l’installation (L. 511-11-2°) ;
    • la cessation de la mise à disposition du local ou de l’installation à des fins d’habitation L. 511-11-3°) ;
    • l’interdiction d’habiter, d’utiliser, ou d’accéder aux lieux, à titre temporaire ou définitif L. 511-11-4°) que s’il n’existe aucun moyen technique de remédier à l’insalubrité ou à l’insécurité ou lorsque les travaux nécessaires à cette résorption seraient plus coûteux que la reconstruction.

 

L’ordonnance du 16 septembre 2020 prévoit la possibilité pour l’autorité compétente qui constaterait que les injonctions n’ont pas été réalisées dans le délai imparti de prononcer une astreinte inférieure à 1.000 € par jour de retard tout en restant proportionnelle à l’ampleur des travaux réalisés (nouvel article L. 511-15 du CCH). En cas d’astreinte le produit revient au maire lorsque celui-ci est compétent ou à l’Agence Nationale de l’Habitat (l’ANAH) lorsque le préfet est compétent (nouvel article L. 511-15 CCH).

Par ailleurs, et c’est aussi l’un des éléments essentiels de cette ordonnance, lorsque les prescriptions n’ont pas été réalisées dans le délais imparti, l’autorité compétente peut désormais par simple décision motivée faire procéder d’office à leur exécution et ce aux frais du propriétaire.

Cette procédure d’exécution d’office se fera donc désormais sans passer par une mise en demeure préalable, ce qui permet d’accélérer la procédure de substitution laquelle se justifie par l’urgence. Ce point est évidemment important car précédemment l’article L. 511-2-V, imposait que cette mise en demeure de respecter les prescriptions des arrêtés ne pouvait être inférieure à un mois, prolongeant d’autant la situation de danger.

 

  1. Sur la procédure d’urgence

L’ordonnance commentée vient prendre en compte une situation qui est actuellement particulièrement délicate à mener pour un maire ou un président d’EPCI lorsqu’un bien présente un risque d’atteinte à la sécurité des biens et des personnes particulièrement grave qui nécessite une intervention extrêmement rapide.

Avant l’entrée en vigueur de l’ordonnance les pouvoirs de police spéciale ne permettaient nullement d’intervenir rapidement malgré une urgence absolue.

La seule solution consistait pour l’autorité compétente à se fonder sur les pouvoirs de police générale des article L. 2212 et suivants du Code général des collectivités territoriales, le conseil d’état ayant admis « qu’en présence d’une situation d’extrême urgence créant un péril particulièrement grave et imminent», le maire pouvait faire usage de ses pouvoirs de police générale, quelle que soit la cause du péril (CE 27 juin 2005, Ville d’Orléans, req. n° 262199)[3].

La conséquence de la mise en œuvre de ce pouvoir de police étant que la décision étant prise sur le fondement de la police générale les frais nécessaires à la suppression du péril particulièrement grave et imminent étaient supportés par la commune laquelle doit également assurer le relogement des occupant à ses propres frais sans possibilités de recouvrement.

Désormais, l’article L. 511-19 du CCH permet au maire ou au président de l’EPCI d’ordonner par arrêté et sans procédure contradictoire préalable les mesures indispensables pour faire cesser ce danger dans un délai qu’il fixe étant précisé que l’autorisation du juge est cependant nécessaire pour procéder à la démolition du bien si aucune autre mesure ne permet d’écarter le danger.

La décision de démolir étant susceptible de porter atteinte au droit de propriété, l’autorité compétente devra saisir le juge judiciaire selon la « procédure accéléré au fond » prévue à l’article 481-1 du Code de procédure civile[4] et qui permet d’obtenir une décision ayant autorité de la chose jugée dans des délais relativement rapides.

 

 

II – Sur les transferts de compétence

 

A – Sur les transferts de compétence des maires aux EPCI

La nouvelle ordonnance précise systématiquement que l’autorité compétente en matière mise en sécurité relève ou de la compétence du maire ou du président de l’EPCI.

Actuellement, si un seul des maires composant l’intercommunalité s’est opposé au transfert de cette compétence le président d’un EPCI doit faire le choix de refuser cette compétence sur la totalité du territoire de l’intercommunalité ou bien ne l’exercer que sur les territoires des communes dont les maires ont transféré cette compétence.

Ce principe est désormais abandonné et la possibilité pour le président de l’EPCI de refuser d’exercer cette compétence est désormais limitée.

En effet, l’article 15 de l’ordonnance du 16 septembre 2020 dispose que « le président de l’établissement public de coopération intercommunale ne peut pas renoncer à ce que les pouvoirs de police des maires des communes membres lui soient transférés, sauf si au moins la moitié des maires de ces communes se sont opposés au transfert de plein droit, ou si les maires s’opposant à ce transfert représentent au moins la moitié de la population de l’établissement ».

Ainsi, le transfert est-il être privilégié, sachant en outre, que l’absence de transfert de compétence est susceptible d’évoluer dès lors que les maires qui se sont opposés à ce transfert auront désormais la possibilité de revenir sur leur décision en cours de mandat, ce qui est susceptible de modifier les critères évoqués. Dans cette hypothèse, le transfert prendra effet dans un délai de trois mois à compter de la notification de la décision du maire au président de l’EPCI.

 

B – Sur le transfert de compétence des préfets aux EPCI

L’article 16 facilite quant à lui les conditions de délégation des pouvoirs des préfets aux présidents d’EPCI lorsque celui-ci a signé avec l’Etat une convention mentionnée à l’article L. 301-5-1 du CCH. Actuellement, ces délégations ne sont possibles qu’aux conditions suivantes :

  • l’EPCI est délégataire des aides à la pierre, à savoir les aides financières destinées à la production (construction et acquisition), la réhabilitation et la démolition des logements locatifs sociaux ainsi que la création de place d’hébergement ; et à l’amélioration de l’habitat privé relevant des aides de l’ANAH ;

  • l’EPCI doit disposer d’un service dédié à la lutte contre l’habitat indigne ;

  • l’EPCI bénéficie de l’ensemble des transferts des pouvoirs de police de lutte contre l’habitat indigne de tous les maires des communes membre de l’EPCI.

Cette dernière condition a été assouplie et désormais il suffit qu’un seul maire ait transféré ses pouvoirs, pour que la délégation puisse être faite, sachant que cette disposition s’applique également aux présidents d’établissement publics territoriaux et à la métropole du Grand Paris.

 

***

 

Cette ordonnance, qui entrera en vigueur pour les arrêtés pris après le 1er janvier 2021 devrait faciliter les moyens d’action des maires et président d’EPCI et tendre vers une accélération des procédures. Elle doit être complétée d’ici la fin de l’année 2020 par un décret d’application lequel devra être suffisamment précis concernant notamment les modalités du respect du principe du contradictoire ainsi que sur les délais donnant injonction de faire les travaux. Par ailleurs, si cette ordonnance uniformise les deux polices de l’insalubrité et de la mise en sécurité et en crée une nouvelle unique, les grands principes de la lutte contre l’habitat indigne sont maintenus, ce qui permet d’envisager une jurisprudence relativement stable.

En revanche, il y aura lieu pour les autorités compétentes de rester vigilantes quant à la mise en œuvre de cette nouvelle police et à la rédaction des futurs arrêtés.

Par Cyril Croix

– 

[1] https://www.legifrance.gouv.fr/jorf/id/JORFTEXT000042334702

[2] https://www.legifrance.gouv.fr/ceta/id/CETATEXT000008215178/

[3] https://www.legifrance.gouv.fr/ceta/id/CETATEXT000008235002/

[4] https://www.legifrance.gouv.fr/codes/id/LEGIARTI000039661612/2020-01-01/