le 08/03/2018

Evaluation environnementale et participation du public : la promulgation de la loi n° 2018-148 le 2 mars 2018 ratifie et modifie les ordonnances de 2016

Loi n° 2018 -148 du 2 mars 2018

L’ordonnance n° 2016-1058 du 3 août 2016 relative à la modification des règles applicables à l’évaluation environnementale des projets, plans et programmes et l’ordonnance n° 2016-1060 du 3 août 2016 portant réforme des procédures destinées à assurer l’information et la participation du public à l’élaboration de certaines décisions susceptibles d’avoir une incidence sur l’environnement ont été publiées au Journal officiel de la République française le 5 août 2016. Le 29 juin 2017, le Gouvernement a déposé à l’Assemblée nationale, un projet de ratification de ces ordonnances qui a fait l’objet d’un accord en commission mixte paritaire en décembre 2017. Puis l’Assemblée a adopté le texte issu de cet accord le 7 février et enfin le Sénat a définitivement adopté le projet de loi le 15 février dernier. La loi n° 2018-148, promulguée le 2 mars 2018 par le Président de la République, donne pleinement valeur législative au texte. Ce dernier, qui avait initialement vocation à simplement ratifier les ordonnances précitées, contient finalement des apports destinés à faire évoluer ces mêmes textes

I – La simplification de l’évaluation environnementale 

A- Rappel des principaux apports de l’ordonnance n° 2016-1058

                L’ordonnance n° 2016-1058 relative à la modification des règles applicables à l’évaluation environnementale des projets, plans et programmes est venue compléter la réforme de l’autorité environnementale qui avait déjà renforcé l’indépendance des décisions et avis rendus par les autorités environnementales locales sur les plans et programmes (avec l’adoption du décret n° 2016-519 du 28 avril 2016). Elle fait également suite à l’avis rendu par la Commission européenne en mars 2015 qui estimait que la liste des plans et programmes soumis à évaluation environnementale en droit français était incomplète et fermée et donc non conforme au droit de l’Union. Les dispositions de l’ordonnance n° 2016-1058 améliorent ainsi la conformité du droit français de l’évaluation environnementale au droit de l’Union européenne, achèvent la transposition de la directive 2014/52/UE, relative à l’évaluation environnementale des projets, et introduisent des procédures communes ou coordonnées entre plusieurs évaluations.

                Dans ce contexte, un des apports particulièrement importants de l’ordonnance concerne le champ d’application de l’évaluation environnementale, ce dispositif n’ayant pas été modifié par la loi de ratification.

Tout d’abord, on rappellera ainsi que le nouvel article L. 122-1 du Code de l’environnement, dans sa version issue de l’ordonnance précitée, définit désormais la notion de projet comme « la réalisation de travaux de construction, d’installations ou d’ouvrages, ou d’autres interventions dans le milieu naturel ou le paysage, y compris celles destinées à l’exploitation des ressources du sol ». On retiendra en premier lieu que la notion de « programme de travaux », qui permettait à plusieurs projets qui concourraient à un même programme d’être soumis à une même étude d’impact, est abandonnée.

Surtout, il convient de rappeler que, parmi ces projets, seuls ceux qui sont susceptibles d’avoir une incidence notable sur l’environnement ou la santé humaine doivent désormais faire l’objet d’une évaluation environnementale. Cette disposition est aujourd’hui inscrite à l’article L.122-1 du Code de l’environnement dans ces termes: « Les projets qui, par leur nature, leur dimension ou leur localisation, sont susceptibles d’avoir des incidences notables sur l’environnement ou la santé humaine font l’objet d’une évaluation environnementale en fonction de critères et de seuils définis par voie réglementaire et, pour certains d’entre eux, après un examen au cas par cas effectué par l’autorité environnementale ».

De plus, l’article L. 122-1 du Code de l’environnement a été modifié de  sorte que l’obligation d’évaluation est réalisée, pour certains projets, « après un examen au cas par cas effectué par l’autorité environnementale ». Cette approche par projet était une réponse à la volonté de mieux évaluer les incidences sur l’environnement et d’éviter les études d’impact redondantes.

 Ainsi, le nombre d’études d’impact a vocation à diminuer grâce au développement des examens au cas par cas effectués par les autorités environnementales et un ciblage de l’évaluation environnementale sur les projets les plus impactants  au travers d’une nomenclature rénovée par le décret du 11 août 2016 (Les députés adoptent le projet de loi de ratification des ordonnances sur la démocratie environnementale, Adrien Pouthier, Nohmana Khalid, Sandrine Pheulpin, Le Moniteur, 19/07/17) (s’agissant de la modification de cette nomenclature, voir brève ci-dessous relative à la proposition de décret modifiant des catégories de projets, plans et programmes relevant de l’évaluation environnementale).

Parmi les apports phares de cette ordonnance, on peut encore rappeler que :

–              celle-ci tendait également à mieux associer les collectivités territoriales et leurs groupements à l’examen de l’évaluation environnementale d’un projet en les associant au processus avant la décision d’octroi ou de refus de l’autorisation par l’autorité compétente. Les avis des collectivités territoriales et leurs groupements « sont mis à disposition du public sur le site internet de l’autorité compétente, ou à défaut sur le site de la préfecture du département » ( article. L. 122-1 du Code de l’environnement).

–              plusieurs modifications avaient été apportées au contenu de l’étude d’impact (le contenu de l’étude d’impact ayant été précisé par le décret n° 2016-1110 du 11 août 2016 pour prendre en compte les nouvelles exigences légales : précisions quant aux mesures de compensation proposées, ainsi que l’impose le article L. 122-1-1 du Code de l’environnement ;  proposition d’un scénario de référence…) ;

–              des procédures communes et coordonnées ont été proposées pour certains projets (art. L. 122-13 et L. 122-14 du Code de l’environnement

B- Les modifications introduites par la loi n° 2018-148

L’adoption de la loi n° 2018-148 a permis la ratification de l’ordonnance n° 2016-1058 mais également d’introduire des amendements. Ainsi, les sénateurs et députés ont réussi à trouver un compromis en introduisant, dans les évaluations environnementales, l’impact sur les projets sur l’agriculture. Dès lors, l’étude d’impact devra notamment porter « sur la consommation d’espaces agricoles, naturels et forestiers ». Cette disposition vient désormais compléter l’article L.122-3 du Code de l’environnement.

Le texte ajoute également à l’article L. 122-1 du Code de l’environnement l’obligation, pour tous les projets, d’une réponse écrite du maître d’ouvrage à l’avis formulé par l’autorité environnementale.

Néanmoins, on relèvera que le Gouvernement a décidé de ne pas introduire dans le droit interne la « clause-filet » retenue par la Cour de Justice de l’Union européenne. En effet, selon la CJUE, l’application de seuils ou de critères à partir desquels un projet doit être soumis à évaluation environnementale est contestable (CJUE, 24 mars 2011, Commission contre Belgique, C-435/09). Le dispositif de la « clause filet » viserait ainsi à « rattraper » certains projets situés au-dessous des seuils réglementaires en les soumettant à évaluation environnementale.

Déjà, l’absence de clause filet dans l’ordonnance du 3 août 2016 avait été notée, ce mécanisme n’est pas plus retenu par la loi adoptée. En effet, selon le secrétaire d’Etat Sébastien Lecornu, ce dispositif soulève « des questions juridiques complexes » et mérite donc « d’être étudié de manière spécifique et approfondie dans le cadre d’un autre texte législatif ». On observera toutefois que la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne s’impose même en l’absence d’une telle transposition écrite, dès lors, l’impératif de sécurité juridique aurait pu conduire l’Etat à préciser le sens et la portée de la « clause-filet ».

II- Le renforcement de la concertation en amont du processus décisionnel 

A- Rappel des principaux apports de l’ordonnance n° 2016-1060

                L’ordonnance n° 2016-1060 dite « sur la démocratisation du dialogue environnemental », adoptée le 3 août 2016, porte réforme des procédures destinées à assurer l’information et la participation du public à l’élaboration de certaines décisions susceptibles d’avoir une incidence sur l’environnement.

Concernant les principaux apports de cette ordonnance, on rappellera que l’article L. 121-17 du Code de l’environnement, qui en est issu, ouvre un droit d’initiative afin d’organiser une concertation préalable pour les projets, plans et programmes soumis à évaluation environnementale hors champ de la Commission nationale du débat public (art. L. 121-15-1 du Code de l’environnement). La nouvelle disposition indique, d’abord, que l’initiative de la concertation préalable peut être prise par la personne responsable du plan ou programme ou par le maître d’ouvrage du projet. Ensuite, l’autorité compétente pour autoriser un projet peut imposer cette concertation préalable. Enfin, en l’absence de ces initiatives, un droit d’initiative citoyenne est ouvert au public qui peut demander au préfet l’organisation d’une concertation préalable en amont de l’instruction du projet.

Une autre disposition importante issue de l’ordonnance précitée est inscrite à l’article L. 121-18 du Code de l’environnement et porte sur la « déclaration d’intention », nouvelle obligation pour les porteurs de projets, plans et programmes qui doivent communiquer sur leur intention de réaliser tel projet, plan ou programme en amont de la phase d’instruction.

Enfin, l’ordonnance n° 2016-1060 a modernisé les procédures de participation du public notamment avec un nouvel article L. 123-10 du Code de l’environnement qui indique une systématisation de l’usage de l’informatique pour transmettre l’information du public qui est « assurée par voie dématérialisée et par voie d’affichage sur le ou les lieux concernés par l’enquête, ainsi que, selon l’importance et la nature du projet, plan ou programme, par voie de publication locale ».

B – Les modifications complémentaires adoptées par la loi n°2018-148

Afin de donner davantage d’effectivité aux mécanismes de consultation, la loi de ratification permet de rallonger le délai à quatre mois au cours duquel les populations concernées par un projet, les exécutifs territoriaux et les associations agréées peuvent se saisir du droit d’initiative. De plus, le seuil de dépenses ou subventions au-delà duquel il peut être exercé a été abaissé de 10 millions à 5 millions d’euros en raison du très faible nombre de projets qui auraient été concernés par la disposition, de l’ordre d’un « projet tous les 5 ans », selon le whip LREM Jean-Baptiste Djebbarri (Députés et sénateurs trouvent un texte de compromis sur un projet de loi relatif au droit de l’environnement, Claire Avignon, Le Moniteur, le 29/12/17).

En matière de participation du public, la loi n° 2018-148 donne également la possibilité de désigner un garant entre la fin de la phase de participation préalable et le début de l’enquête publique en complétant l’article L. 121-16-2 du Code de l’environnement, comme suit : « la Commission nationale du débat public peut, à la demande du maître d’ouvrage ou de l’autorité compétente pour autoriser le projet, désigner un garant chargé de veiller à la bonne information et à la participation du public jusqu’à l’ouverture de l’enquête publique. La commission détermine alors les conditions dans lesquelles le garant la tient informée. Le rapport final du garant est rendu public. L’indemnisation de ce garant est à la charge du maître d’ouvrage. ». Le refus par un garant de transmettre à la Commission nationale du débat public une demande d’étude technique ou d’expertise complémentaire formulée lors de la concertation devra être motivé (L.121-16-1 du code de l’environnement).

Clémence DU ROSTU, Avocate sénior et Manon LEMAIRE