le 19/11/2020

Domanialité publique – mise en concurrence – autorisation constitutive de droits réels – cession – aspects financiers

CAA Lyon, 22 octobre 2020, n° 18LY04739

La décision rendue par la Cour administrative d’appel de Lyon le 22 octobre dernier est intéressante sur le terrain de la domanialité publique, et ce à plusieurs égards.

La Cour était amenée à se prononcer sur une série de questions que suscitait le montage suivant : la ville de Chalon-sur-Saône a conclu une convention d’occupation du domaine public avec une société, l’autorisant à réaliser des ancrages partiels sur le domaine public en vue de l’édification d’un bâtiment à usage commercial en surplomb d’une place publique affectée à l’usage de parc de stationnement. Par ailleurs, la Ville a cédé à cette même société un volume d’air situé en surplomb de la place concernée, correspondant à l’emprise en volume de l’ouvrage commercial à réaliser.

Ces actes et les délibérations qui les approuvent ont été contestés par un conseiller municipal, qui invoquait une série de moyens sur lesquels la Cour apporte des solutions pour l’essentiel classiques, bien qu’en partie nouvelles.

En premier lieu, la Cour rappelle qu’il n’est pas possible de contester l’octroi d’un titre domanial sur le fondement de l’article L. 2122-1-1 du Code général de la propriété des personnes publiques – lequel institue une obligation de principe d’organiser une procédure de publicité et de sélection préalablement à l’octroi des autorisations d’occupation domaniale « à objet économique » –, dès lors que le titre a été accordé avant le 1er juillet 2017.

Ce faisant, elle s’inscrit dans la lignée d’une décision récente du Conseil d’Etat (CE, 10 juillet 2020, n° 434582), et adopte une solution pleinement logique : l’article 15 de l’ordonnance n° 2017-562 du 19 avril 2017 relative à la propriété des personnes publiques indique expressément que ses dispositions relatives à la mise en concurrence des titres domaniaux sont applicables « aux titres délivrés à compter du 1er juillet 2017 ».

En revanche, la Cour souligne que, concernant les titres domaniaux accordés avant cette date, leur conclusion était susceptible de relever de l’article 12 de la directive du 12 décembre 2006 relative aux services dans le marché intérieur, lequel a été interprété par la Cour de Justice de l’Union Européenne comme emportant l’obligation de procéder à des mesures de publicité et de sélection préalablement à l’octroi de certaines autorisations d’occupation des biens publics, et notamment de celles qui permettent l’exercice d’une activité économique sur des ressources rares (CJUE, du 14 juillet 2016, Promoimpresa Srl, C-458/14 et C-67/15).

Et la décision de la Cour administrative d’appel de Lyon est, sur ce point, intéressante, parce qu’elle constitue l’une des toutes premières décisions nationales à se prononcer sur le champ d’application de cette obligation issue du droit européen.

Or, les magistrats retiennent ici une acception stricte du champ d’application de l’obligation de mise en concurrence européenne, en soulignant qu’une place publique, « utilisée pour le stationnement payant des véhicules et le marché hebdomadaire, ne constitue pas une ressource naturelle rare ».

La motivation est succincte, si bien qu’il est difficile d’en mesurer pleinement la portée : est-ce que les juges ont considéré que la place publique ne constituait pas une ressource rare, parce qu’il ne s’agit pas d’une « ressource naturelle » mais d’un bien artificiel, qui résulte de la main de l’Homme (auquel cas la solution peut surprendre parce qu’elle limiterait les obligations de mise en concurrence issue du droit européen au seul domaine public naturel, alors que la directive vise, au-delà des ressources naturelles rares, les « capacités techniques utilisables » rares, lesquelles pourraient englober les biens du domaine public « artificiel ») ; ou bien est-ce que la Cour a considéré que la place n’était pas une ressource rare parce que, dans l’absolu, il existe sans doute d’autres places publiques sur le territoire de la Ville, voire d’autres terrains nus qui pourraient accueillir un centre commercial (mais alors la solution surprendrait également, parce qu’il n’est sans doute pas non plus beaucoup de places publiques situées en plein cœur de la Ville, sur lesquelles peuvent être implantées un centre commercial qui a pour objectif de redynamiser le centre-ville) ?

En deuxième lieu, la Cour se prononce sur la notion d’ « opération d’intérêt général » qui permet à une collectivité territoriale de délivrer une autorisation d’occupation du domaine public constitutive de droits réels, sur le fondement de l’article L. 1311-5 du Code général des collectivités territoriales.

Sur ce sujet, la Cour considère que la réalisation d’un bâtiment à usage commercial, qui « vise à renforcer l’activité économique, en incitant certaines enseignes, par la création de locaux commerciaux de grande superficie, à s’installer en centre-ville plutôt qu’en périphérie, tout en réorganisant l’espace public afin de faciliter la circulation, en particulier des piétons et en préservant des emplacements de stationnement, a le caractère d’une opération d’intérêt général ».

La solution ne surprend guère sur ce sujet : de nombreuses décisions des juridictions administratives considèrent que la réalisation d’équipements ouverts aux habitants de la collectivité, qui ont par exemple pour objet la pratique d’une activité culturelle, ou bien qui permettent de redynamiser l’activité commerciale de la collectivité, de renforcer l’attractivité économique et touristique de la Ville, qui favorisent la création d’emplois ou qui mettent en valeur le patrimoine sont autant de circonstances qui traduisent des opérations d’intérêt général au sens des dispositions précitées.

En troisième lieu, la décision de la Cour administrative d’appel de Lyon est intéressante sur le terrain de la qualification même d’une dépendance domaniale. En effet, la Cour devait se prononcer sur la nature d’un « cube d’air » situé en surplomb d’une dépendance qui relève du domaine public routier (un parc de stationnement), et qui devait être cédé à une société privée pour la réalisation de l’ouvrage commercial sous sa propre maîtrise d’ouvrage.

La Cour considère à cet égard que ce volume d’air « n’a pas vocation à être affecté directement par la personne publique à l’usage du public ni à un service public » et qu’ « il ne présente par ailleurs pas, ainsi que l’a jugé le tribunal, le caractère d’un accessoire indissociable nécessaire à l’utilisation du parc de stationnement qu’il surplombe ». En conséquence, il relève du domaine privé de la collectivité.

Sur ce sujet encore, la décision est classique, bien qu’elle puisse surprendre au premier regard. En effet, s’il ressort des textes (article 552 du Code civil) et de la jurisprudence que la propriété du sol emporte la propriété du sous-sol et du « sur-sol », il reste que la domanialité publique du sol n’implique pas fatalement, en revanche, la domanialité publique du sous-sol et du sur-sol.

Aussi, le surplomb d’une dépendance domaniale ne relève-t-il du domaine public que s’il est lui-même affecté à l’usage direct du public ou à un service public au prix d’un aménagement indispensable (ou bien qu’il est destiné de façon certaine à l’être), ou que s’il constitue un accessoire indissociable de la dépendance domaniale qu’il domine.

Or, tel n’était pas le cas du volume d’air sur la nature duquel la Cour était amenée à se prononcer : ce volume, actuellement vide par nature et donc non affecté à une utilité publique, était destiné à la réalisation d’équipements commerciaux sous maîtrise d’ouvrage privée, et ne constituait pas un accessoire qui était nécessaire à l’utilisation du parc de stationnement au-dessus duquel il est situé.

En quatrième lieu, la décision de la Cour administrative d’appel de Lyon est également intéressante en ce que la Cour était amenée à se prononcer sur les aspects financiers attachés à l’occupation du domaine public et à la cession d’une dépendance publique.

Le requérant soutenait en effet que la Ville avait, d’une part, sous-évalué le montant de la redevance attachée à l’autorisation d’occupation temporaire du domaine public, et d’autre part, sous-évalué le prix de cession du volume surplombant le domaine public.

La Cour ne retient pas ce moyen, en ses deux branches.

Concernant le montant de la redevance d’occupation, la Cour exerce un degré de contrôle habituel en la matière : elle limite son contrôle à l’erreur manifeste d’appréciation, en soulignant que la méthode d’évaluation proposée par le requérant, fondé sur des  » montants moyens de loyers commerciaux pratiqués dans des centres commerciaux de périphérie  » « n’est pas de nature à établir, d’une part, que le montant annuel de la redevance d’occupation du domaine public, fixée à 25 000 euros, aurait été manifestement sous-évaluée par rapport aux avantages de toute nature procurés » à l’occupant.

Concernant le prix de cession du volume d’air, la Cour souligne qu’il est supérieur à l’évaluation qui avait été faite par le service des domaines, et que le requérant ne démontre par ailleurs pas qu’il ne correspondrait pas à la valeur vénale du bien, « compte tenu de ses caractéristiques et du marché immobilier ».

Ce dernier point mérite l’attention, tant on sait aujourd’hui que le prix de cession des biens publics fait de plus en plus l’objet de discussions contentieuses qui tendent à critiquer le montant retenu, souvent jugé trop bas, alors même qu’il correspond ou qu’il est supérieur au prix fixé par le service des domaines.