le 24/09/2020

Coronavirus : exigibilité des loyers commerciaux échus durant la période de fermeture administrative

TJ Paris, 18ème ch., 10 juillet 2020, n° 20/04516

L’article 4 de l’ordonnance n° 2020-306 du 25 mars 2020 n’a pas suspendu l’exigibilité des loyers commerciaux qui peuvent être payés spontanément ou par compensation, mais interdit l’exercice de voies d’exécution forcée par le bailleur en vue de leur recouvrement.

Le jugement de la 18ème chambre du Tribunal judiciaire de Paris du 10 juillet 2020 nous fournit une première grille de lecture sur l’appréhension par les juridictions du contentieux relatif aux loyers commerciaux impayés durant la période de fermeture administrative imposée afin d’éviter la propagation de la Covid-19. En effet, ce jugement met en évidence l’exigibilité des loyers commerciaux durant cette période et révèle surtout l’intention des juridictions d’inviter les cocontractants à aménager eux-mêmes les répercussions économiques de la période de fermeture administrative, sous couvert de la bonne foi contractuelle.

En l’espèce, un preneur et son bailleur étaient en procédure depuis 2013 afin de fixer le montant du loyer de renouvellement d’un bail commercial. À la suite d’un arrêt du 29 janvier 2020 de la Cour d’appel de Paris, le bailleur a été déclaré redevable envers son preneur d’une certaine somme au titre d’un trop-perçu de loyer durant le cours de la procédure.

N’ayant pas provisionné la somme en question et rencontrant des difficultés économiques à raison de sa cessation d’activité du fait de la pandémie, le bailleur a sollicité tant des délais de paiement pour le solde de sa dette qu’une compensation avec les loyers échus durant la période de fermeture administrative et demeurés impayés par son preneur.

En réponse, le preneur a refusé tout délai de paiement et poursuivi l’exécution de la décision de la Cour d’appel de Paris du 29 janvier 2020.

Confronté à cette mesure, le bailleur a assigné à jour fixe afin d’obtenir un échelonnement de sa dette et sa compensation avec les créances de loyers impayés du preneur.

Dans son argumentaire, le preneur soutient notamment que la fermeture administrative de son commerce est de nature à le décharger de son obligation de paiement des loyers et qu’en conséquence, toute compensation avec la dette de son bailleur est à exclure. Il soutient plus particulièrement que la période juridiquement protégée a eu pour effet de reporter l’exigibilité des loyers échus et donc qu’aucune compensation ne peut s’opérer.

Après s’être déclaré compétent, le Tribunal judiciaire de Paris a jugé que l’article 4 de l’ordonnance n° 2020-306 du 25 mars 2020 n’ayant pas suspendu l’exigibilité des loyers commerciaux, mais interdit uniquement l’exercice de voies d’exécution forcée par le bailleur en vue de leur recouvrement, la compensation des loyers impayés à son profit est donc acquise.

De plus, le Tribunal retient qu’en application de l’exigence de bonne foi, les parties étaient tenues de vérifier si les circonstances exceptionnelles ne rendaient pas nécessaire une adaptation des modalités d’exécution de leurs obligations respectives. Le bailleur ayant fait des propositions d’aménagement du paiement des loyers alors que le locataire n’a fait aucune démarche en retour, seul le bailleur avait exécuté ses obligations de bonne foi. Dès lors, le Tribunal a fait droit à sa demande de paiement intégral des loyers du deuxième trimestre 2020 par la voie de la compensation.

Si ce jugement est riche d’enseignement tant sur l’exigibilité des loyers que sur leur mode de recouvrement, il est toutefois regrettable que le preneur n’ait pas profité de ce tout premier débat judiciaire pour développer des moyens subsidiaires tels que la force majeure, l’exception d’inexécution, la perte temporaire de la chose louée ou encore l’imprévision.

Par Alexane Raynaldy