le 19/12/2018

Conséquences d’une résiliation pour motif d’intérêt général d’un contrat de concession avant mise en service des ouvrages à réaliser

CE, Avis, 26 avril 2018, relatif à diverses questions de droit des concessions dans le contexte résultant de l’annonce, le 17 janvier 2018, par le Premier ministre de la décision du Gouvernement de renoncer au projet d’aéroport de Notre-Dame-des-Landes et de procéder à un réaménagement de l’aéroport de Nantes-Atlantique, n° 394398

Le 23 novembre dernier, le Conseil d’Etat a rendu public l’avis rendu le 26 avril 2018 par son Assemblée générale sur trois questions du Gouvernement portant sur les conséquences de la renonciation au projet de l’aéroport de Notre-Dame-des-Landes.

Ces trois questions portaient précisément sur la possibilité de modifier par voie d’avenant le contrat de concession conclu entre l’Etat et la société Aéroports du Grand Ouest (1), de résilier le contrat sur le fondement de la force majeure dans les conditions prévues par le cahier des charges (2) et, en cas de résiliation pour motif d’intérêt général, de faire application des modalités d’indemnisation prévues par le cahier des charges dans une telle hypothèse (3).

Après avoir rappelé le contexte du contrat de concession ayant pour objet à la fois la réalisation de l’aéroport de Notre-Dame-des-Landes et l’exploitation des aéroports de Nantes-Atlantique et de Saint-Nazaire Montoir, le Conseil d’Etat a répondu par la négative à deux des trois questions du Gouvernement. 

1) S’agissant tout d’abord de la première question, le Gouvernement souhaitait savoir s’il était possible, par voie d’avenant au contrat de concession, de retirer de son périmètre la réalisation de l’aéroport de Notre-Dame-des-Landes et de confier des missions supplémentaires au concessionnaire sur l’aérodrome de Nantes-Atlantique.

Le Conseil d’Etat a estimé qu’une telle modification du contrat initial changerait la nature globale du contrat en méconnaissance de l’article 55 de l’ordonnance n° 2016-65 du 29 janvier 2016 relative aux contrats de concession et de l’article 36 du décret n° 2016-86 du 1er février 2016 relatif aux contrats de concession (qui s’appliquent aux contrats en cours avant leur date d’entrée en vigueur).

Pour le Conseil d’Etat, cette résiliation partielle du contrat de concession serait, en outre, de nature à introduire « des conditions qui, si elles avaient figuré dans la procédure de passation initiale, auraient attiré davantage de participants ou permis l’admission de candidats ou soumissionnaires autres que ceux initialement admis ou le choix d’une offre autre que celle initialement retenue » au sens de l’article 36-5° a) du décret n° 2016-86 du 1er février 2016 précité.

Le Conseil d’Etat a précisé surtout que la lecture de l’article 36 du décret n° 2016-86 du 1er février 2016 précités sur les modifications des contrats de concession doit être combinée avec l’interdiction générale de modifier la nature globale du contrat à l’article 55 de l’ordonnance n° 2016-65 du 29 janvier 2016.

2) Concernant ensuite la deuxième question, le Conseil d’Etat a considéré que les conditions d’une résiliation pour force majeure ne sont pas réunies au cas d’espèce et, partant, que les stipulations du cahier des charges prévues à cet effet ne peuvent être appliquées.

Rappelant la définition de la force majeure comme le « bouleversement de l’économie du contrat tel, par son ampleur et sa durée, qu’il peut en justifier une résiliation », le Conseil d’Etat a admis que le contrat de concession avait subi un bouleversement économique tenant à ce que le concessionnaire n’a, ni réalisé les études d’avant-projet de l’aéroport, ni les travaux de construction, ni respecter ses obligations financières.

En revanche, les autres conditions de la force majeure (caractères d’extériorité, d’imprévisibilité, et d’irrésistibilité des évènements ayant un lien direct avec le bouleversement de l’économie du contrat) feraient défaut, selon le Conseil d’Etat, pour caractériser une telle force majeure en l’espèce.

Notamment, le Conseil d’Etat a souligné que le rôle de l’autorité concédante peut être prépondérant dans l’analyse des conditions d’extériorité et d’irrésistibilité de la force majeure.

3) Enfin, pour ce qui est de la troisième question, le Conseil d’Etat estime que la résiliation pour motif d’intérêt général, comme l’application des stipulations du cahier des charges de concession sur l’indemnisation des pertes subies par le concessionnaire, ne « soulèverait pas de difficulté » pour la renonciation du projet de l’aéroport de Notre-Dame-des-Landes.

Mais, s’agissant de l’indemnisation d’un manque à gagner, les stipulations du cahier des charges ne peuvent s’appliquer, selon le Conseil d’Etat, dès lors qu’elles éludent le cas d’une résiliation intervenant avant tout la mise en service des ouvrages et même, ici, avant le début d’exécution des travaux.

Dans ces conditions, le Conseil d’Etat a précisé que « lorsqu’elles sont confrontées à des stipulations lacunaires d’un contrat, il incombe aux parties, conformément à l’exigence de loyauté des relations contractuelles, de leur donner, sous le contrôle du juge, une portée qui soit conforme à la volonté des parties et qui respecte les principes dégagés par la jurisprudence » (considérant n°18).

Au cas présent, l’indemnisation d’un manque à gagner comme la pertinence des paramètres financiers retenus par le contrat de concession n’ont pas à être remis en cause dans leur principe pour le Conseil d’Etat.

En revanche, le Conseil d’Etat a rappelé que les modalités de calcul de cette indemnisation ne pouvaient pas méconnaître, d’une part, l’interdiction de consentir des libéralités et, d’autre part, l’interdiction pour les parties de prévoir des modalités d’indemnisation faisant obstacle au pouvoir de résiliation unilatérale de la partie publique.

Or, en l’espèce, les modalités de calcul de l’indemnisation du manque à gagner, bien que fondées dans leur principe, s’opposerait au principe d’interdiction de consentir des libéralités, eu égard notamment au taux de rentabilité qu’il procurerait aux actionnaires de la société concessionnaire.

Pour le Conseil d’Etat, cette indemnisation doit être calculée en tenant compte de la situation particulière du contrat de concession et, en particulier ici, du volume des fonds investis par les actionnaires du concessionnaire à la date de la résiliation et de la durée d’immobilisation de ces fonds investis.

Au-delà, le Conseil d’Etat anticipe sur l’avenir par une recommandation : « dans l’hypothèse où le groupe Vinci serait pressenti pour reprendre l’exploitation des aéroports […], il appartiendrait à l’Etat, pour apprécier l’existence d’un préjudice et en évaluer le montant, de prendre en compte, au titre du recoupement partiel entre les deux concessions, le bénéfice que ce groupe serait susceptible de retirer de la réalisation, en tant que titulaire du nouveau contrat, de prestations identiques à celles exécutées au titre du contrat résilié […] ».