le 12/07/2018

Concessions – Statut des biens acquis avant le contrat par le concessionnaire

CE, 29 juin 2018, Ministre de l'intérieur c/ communauté de communes de la vallée de l'Ubaye, n° 402251.

Les biens nécessaires au fonctionnement du service public sont des biens de retour même s’ils ont été acquis par le concessionnaire avant la signature du contrat de délégation de service public.

Par sa décision du 29 juin 2018, la Section du Contentieux du Conseil d’Etat a précisé le régime des biens de retours des délégations de service public, dans la continuité de sa jurisprudence de principe « Commune de Douai » du 21 décembre 2012 (CE, Ass, 21 décembre 2012, n° 342788).

On se souvient tout d’abord que l’Assemblée du Contentieux avait, par sa décision Commune de Douai, consacré et précisé la théorie des biens de retour, dégagée par la jurisprudence à partir des cahiers des charges de concession. Ainsi les biens nécessaires au fonctionnement d‘un service public sont des biens de retour, qui reviennent gratuitement en fin de contrat à l’autorité délégante avec une possibilité d’indemnisation du délégataire pour les biens non amortis sur la base de leur valeur nette comptable à certaines conditions. Ces principes valaient tant pour les biens construits par le concessionnaire que pour les biens acquis par ce dernier.

Enfin l’apport jurisprudentiel résidait dans l’illicéité de toute clause contraire convenue dans la convention de concession.

Un flou juridique persistait concernant les règles applicables aux biens, propriété du concessionnaire avant la passation de la concession et que ce dernier acceptait d’affecter au fonctionnement du service public au moment de la signature du contrat de concession.

A cet égard, le cas des délégations de service public de remontées mécaniques dans les stations de montagne posait plus particulièrement question, puisque, depuis l’adoption de la loi dite « Montagne » en 1985[1], les remontées mécaniques, si elles ne sont pas exploitées en régie le sont dans le cadre de contrats de concession, de sorte que nombreux  exploitants privés de remontées mécaniques ont apporté les biens nécessaires au service public à l’occasion de la signature des contrats prévus par la loi.

C’est ce qui s’est précisément passé lors de l’aménagement la station de ski « Sauze – Super Sauze ». En effet, en 1998, une convention de délégation de service public avait été conclue en 1998, pour une durée de quatorze ans, entre la communauté de communes de la vallée de l’Ubaye (CCVU) et la SARL C. Frères. À l’expiration de cette convention, la CCVU a décidé la reprise en régie de l’exploitation et signé avec l’exploitant sortant un protocole d’accord amiable pour le rachat des biens.

Estimant que ces biens devaient revenir gratuitement à la collectivité compte tenu de leur statut de biens de retour, le préfet des Alpes-de-Haute-Provence a déféré les délibérations des collectivités concernées qui avaient approuvé ledit protocole devant le Tribunal administratif de Marseille.  Ce dernier ayant rejeté le déféré préfectoral, le représentant de l’Etat a porté le contentieux en appel.

Par un arrêt rendu en 2016, la Cour administrative d’appel de Marseille a estimé que  si les règles qui gouvernent les concessions de service public imposent que les biens nécessaires au fonctionnement du service public appartiennent à la collectivité concédante dès l’origine, ce principe ne trouve pas nécessairement à s’appliquer à tout équipement, lorsque le délégataire en était propriétaire antérieurement à la passation de la convention et qu’il l’a seulement mis à disposition pour l’exécution de celle-ci.

La Cour avait ainsi jugé que la propriété des biens en cause, alors même qu’ils étaient nécessaires au fonctionnement du service public concédé, n’avait pas été transférée à la CCVU dès la conclusion de la convention du seul fait de leur affectation à la concession de service public et que ces biens n’étaient pas régis par les règles applicables aux biens de retour. La Cour en avait alors déduit que le concessionnaire avait droit, du fait de leur retour dans le patrimoine de la CCVU, à une indemnité égale à leur valeur vénale (CAA de Marseille, 9 juin 2016, Préfet des Alpes-de-Haute-Provence, n° 15MA04083).

Le Ministre de l’Intérieur s’est alors pourvu en cassation offrant ainsi l’occasion au Conseil d’Etat de préciser sa jurisprudence « Commune de Douai ».

Dans la décision ici commentée, le Conseil d’Etat précise tout d’abord, aux termes de trois considérants, les règles applicables aux biens des concessions de service public (considérants 3, 4 et 5) puis énonce les règles qui doivent s’appliquer aux délégations de service public de remontées mécaniques, conformément aux conclusions de son Rapporteur public, Olivier Henrard.

Le Conseil d’Etat précise ainsi que la loi « Montagne » précitée n’a pas entendu déroger aux règles dégagées dans la décision Commune de Douai de sorte qu’elles « trouvent également à s’appliquer lorsque le cocontractant de l’administration était, antérieurement à la passation de la concession de service public, propriétaire de biens qu’il a, en acceptant de conclure la convention, affectés au fonctionnement du service public et qui sont nécessaires à celui-ci ; qu’une telle mise à disposition emporte le transfert des biens dans le patrimoine de la personne publique[…] ; qu’elle a également pour effet, quels que soient les termes du contrat sur ce point, le retour gratuit de ces biens à la personne publique à l’expiration de la convention[…] ».

Il ajoute ensuite que le transfert des biens dans le patrimoine de la personne publique doit être pris en compte dans l’équilibre économique du contrat au moment de la signature du contrat de concession à condition qu’en résulte aucune libéralité de la personne publique :   « […] Les parties peuvent prendre en compte cet apport dans la définition de l’équilibre économique du contrat, à condition que, eu égard notamment au coût que représenterait l’acquisition ou la réalisation de biens de même nature, à la durée pendant laquelle les biens apportés peuvent être encore utilisés pour les besoins du service public et au montant des amortissements déjà réalisés, il n’en résulte aucune libéralité de la part de la personne publique ».

Et, le Conseil d’Etat d’ajouter :   « dans l’hypothèse où la commune intention des parties a été de prendre en compte l’apport à la concession des biens qui appartenaient au concessionnaire avant la signature du contrat par une indemnité, le versement d’une telle indemnité n’est possible que si l’équilibre économique du contrat ne peut être regardé comme permettant une telle prise en compte par les résultats de l’exploitation ; qu’en outre, le montant de l’indemnité doit, en tout état de cause, être fixé dans le respect des conditions énoncées ci-dessus afin qu’il n’en résulte aucune libéralité de la part de la personne publique ».

En définitive, par cette décision, le Conseil d’Etat pose le principe que la date d’acquisition des biens nécessaires au fonctionnement du service public (antérieure ou postérieure à la signature du contrat) est sans incidence sur la qualification des biens de retour.  Et que l’indemnisation due en contrepartie de la remise desdits biens de retour en fin de contrat (normale comme anticipée) doit être justifiée et demeurer normale.

Cette décision s’inscrit ainsi dans la suite logique de la décision « Commune de Douai », protectrice de la continuité du service public, sans remettre en cause l’équilibre économique des concessions de service public, en affirmant le droit à indemnité des concessionnaires sous certaines conditions.

[1] Loi n° 85-30 du 9 janvier 1985 relative au développement et à la protection de la montagne