le 14/01/2021

Concession de distribution publique d’électricité : illégalité de la clause d’indemnisation du concessionnaire en fin de contrat

CAA Nancy, 8 décembre 2020, n° 20NC00843, Inédit au recueil Lebon

Dans un arrêt rendu le 8 décembre 2020, après renvoi du Conseil d’État (CE, 7ème et 2ème chambres réunies, 27 mars 2020 M. L… et autres, n° 426291 que nous avions commenté dans la LAJEE n° 60), la Cour administrative d’appel de Nancy vient de prononcer sur la validité d’un avenant à un contrat de concession pour la distribution d’électricité.

 

A cette occasion, la Cour s’est prononcée sur l’intérêt à agir des requérants, en l’espèce des contribuables locaux et usagers du service public de la distribution d’électricité, ainsi que sur la validité de deux clauses du contrat de concession qui lie la Métropole du Grand Nancy aux sociétés Enedis et EDF, respectivement en charge de l’exploitation du réseau public de distribution d’électricité et de la fourniture d’électricité aux tarifs règlementés de vente.

 

Ces deux clauses concernaient le périmètre des ouvrages concédés et l’indemnisation du concessionnaire en cas de non-renouvellement ou de résiliation anticipée du contrat.

 

Depuis l’introduction de ce recours, la Métropole du Grand Nancy avait signé un nouveau contrat de concession avec ses concessionnaires et ainsi résilié de manière anticipée le contrat de concession contesté. 

 

Cette circonstance n’a toutefois pas privé d’effet le recours formé par les contribuables locaux, ainsi que l’a jugé la Cour. 

 

Ceci précisé, la Cour a tout d’abord apprécié l’intérêt à agir des requérants, dans le droit fil de la décision rendue par le Conseil d’Etat le 27 mars 2020.

 

Si la Cour a exclu la possibilité pour les requérants de se prévaloir de leur qualité d’usagers du service public pour établir leur intérêt à agir dès lors que les stipulations contestées n’ont pas, par elles-mêmes, pour objet l’organisation ou le fonctionnement du service public concédé, la Cour a en revanche admis qu’ils puissent se prévaloir de leur qualité de contribuables locaux.

 

Sur cette question, la Cour a rappelé qu’il appartient à un contribuable local « d’établir que la convention ou les clauses dont il conteste la validité sont susceptibles d’emporter des conséquences significatives sur les finances ou le patrimoine de la collectivité, le caractère éventuel ou incertain de la mise en œuvre de clauses étant par lui-même dépourvu d’incidence sur l’appréciation de leur répercussion possible sur ces finances ou ce patrimoine ».

 

Au cas présent, s’agissant de la clause critiquée relative aux dispositifs de suivi intelligent des compteurs électriques (compteurs Linky) exclus des biens de retour de la collectivité, la Cour a jugé que l’installation de ces dispositifs était « probable » eu égard à la très longue durée du contrat de concession (30 ans). Elle a ensuite estimé qu’eu égard au coût estimé de rachat de ces ouvrages, la clause était susceptible d’emporter des conséquences significatives sur le patrimoine de la métropole.

 

S’agissant de la clause relative à l’indemnisation du concessionnaire en fin du contrat, la Cour a également jugé « probable » la mise en œuvre de cette clause et estimé que son montant (toujours estimé) était significatif pour les finances de la Métropole.

 

L’intérêt à agir des requérants acquis, la Cour a ensuite examiné la validité des deux clauses contestées.

 

D’une part, au sujet du périmètre des ouvrages concédés, les requérants critiquaient la  clause en ce qu’elle attribuait à la société Enedis  la propriété des « autres dispositifs de suivi intelligent, de contrôle, de coordination et de stockage des flux électriques, d’injection comme de soutirage, qui viendraient à être installés par le concessionnaire sur le réseau concédé », alors même que les équipements en cause sont financés par les usagers du service par le biais du tarif d’utilisation des réseaux publics d’électricité (le TURPE). Ils estimaient également l’avenant attaqué illégal en ce qu’il ne prévoit aucune disposition relative à l’accès au traitement des données enregistrées, ni la remise du système d’information propre au service, ou le droit d’usage de ce système à la Métropole, à l’issue du contrat.

 

Malgré ces arguments, la Cour a considéré que les parties avaient légalement pu prévoir que les dispositifs soient exclus des ouvrages concédés dans la mesure où le système d’information centralisé au niveau national est affecté concurremment à plusieurs concessions de service public, reprenant sur ce point une précédente jurisprudence du Conseil d’Etat (CE, 7e et 2e s/s réunies, 11 mai 2016, société ERDF, n° 375533) que nous avions eu l’occasion de commenter dans une précédente LAJEE.

 

La Cour ajoute qu’« aucune disposition légale ou réglementaire n’imposant que le contrat de concession comporte la définition du périmètre des ouvrages concédés, la circonstance que les stipulations contestées ne règlent pas les questions de l’accès au traitement des données enregistrées et de la propriété du système d’information propre au service, ou du droit d’usage de ce système, au terme de la concession est sans incidence sur leur validité ».

 

Cette conclusion affaiblit la qualification de biens de retour des compteurs intelligents, mais elle tient au contexte du monopole légal français dont bénéficie le gestionnaire du réseau de distribution publique d’électricité qui autorise cet écart avec le statut protégé des biens de retour des ouvrages concédés.

 

D’autre part, concernant l’indemnité due au concessionnaire en cas de non renouvellement ou résiliation de la concession, il faut rappeler que les requérants critiquaient cette clause en ce qu’elle prévoyait, pour le calcul de l’indemnité devant être versée au concessionnaire par l’autorité concédante, une réévaluation des financements du concessionnaire par référence à un indice, Taux Moyen des Obligations (TMO) basé sur le taux moyen de rendement des emprunts obligataires calculé par l’INSEE.

 

La Cour juge sur ce point « qu’il est loisible aux parties de déterminer comme elles l’entendent l’étendue et les modalités des droits à indemnité du concessionnaire au titre du préjudice qu’il subit à raison du retour des biens à titre gratuit dans le patrimoine du concédant, sous réserve que l’indemnité qui en résulte n’excède en aucun cas la valeur nette comptable de ces biens, laquelle correspond exactement au montant de ce préjudice ».

 

On précisera que l’indemnité qui est susceptible d’être versée au concessionnaire ne prend en compte que la valeur nette comptable les biens financés par le concessionnaire.

 

Aussi, la Cour a estimé que la référence au TMO pour le calcul de l’indemnité, quand bien même cet indice serait dépourvu de tout lien avec les comptes spécifiques de la concession, n’est pas par elle-même de nature à rendre illégale la clause contestée. Elle ajoute que cette référence est un « simple élément de calcul du préjudice ».

 

Toutefois il ressort effectivement des éléments fournis par les requérants que « l‘application de la clause contestée peut avoir pour résultat de fixer l’indemnité à un montant qui serait supérieur à la valeur nette comptable de la participation du concessionnaire au financement des ouvrages de la concession ».

 

En définitive, la Cour a jugé la clause contestée illégale en tant qu’elle ne limite pas le montant de l’indemnité de fin de contrat à celui de la valeur nette comptable de la participation du concessionnaire au financement des ouvrages de la concession, comme le requiert la jurisprudence du Conseil d’Etat « Commune de Douai » (CE Ass, 21 décembre 2012, Commune de Douai, n°342788).

 

Cet arrêt devrait donc conduire les autorités concédantes, autorités organisatrices de la distribution d’électricité, à modifier leur contrat de concession afin que le montant de l’indemnité de fin de contrat à verser par l’autorité concédante soit expressément limité à la valeur nette comptable de la seule participation du concessionnaire au financement des ouvrages de la concession. On observera que cette clause est présente dans les contrats de concession pour la distribution publique d’électricité inspirés du modèle de contrat de concession pour la distribution d’électricité adopté en 1992 et mis à jour en 2017.

 

Elle devrait inciter également à interroger la légalité de la clause de fin de contrat du nouveau modèle de contrat de concession discuté en décembre 2017 qui ne retient pas un tel plafond de l’indemnité due au concessionnaire en fin de concession.