le 06/10/2020

Application du principe de précaution et appréciation de l’urgence dans le contentieux de la chasse

CE, 11 septembre 2020, Ligue pour la protection des oiseaux et Association one voice, n° 443482 et 443567

CE, 22 septembre 2020, Association one voice , n° 443778, 443779, 443781, 443782, 443784, 443788 

CE, 22 septembre 2020, Fédération nationale des chasseurs et Fédération régionale des chasseurs de la région Provence-Alpes-Côte d’Azur, n° 443851 

 

Au cours du mois de septembre 2020, le Conseil d’Etat a adopté trois ordonnances se rapportant à la protection de l’avifaune et à la chasse. Ces décisions apportent des précisions sur l’appréciation de la condition de l’urgence, nécessaire pour obtenir la suspension d’une décision sur le fondement de l’article L. 521-1 du Code de justice administrative, dans le contentieux de la chasse (a). En outre, dans une ordonnance du 11 septembre, le juge a appliqué le principe de précaution à ce contentieux (b).  

 

 

1 – Appréciation de la condition d’urgence 

Par une ordonnance du 22 septembre 2020, Association one voice, n° 443778, 443779, 443781, 443782, 443784, 443788, le Conseil d’Etat a rejeté pour défaut d’urgence les demandes de la requérante, laquelle sollicitait la suspension de six autorisations de chasse de différentes espèces d’oiseaux sauvages (l’alouette des champs dans les départements du Lot-et-Garonne, Landes, Gironde et Pyrénées Atlantiques, ainsi que les vanneaux, pluviers dorés, grives et merles noirs dans les Ardennes). 

Pour établir que la condition d’urgence n’est pas remplie en l’espèce, le juge considère que « l’importance des populations d’oiseaux concernés en France au regard du nombre de prélèvements autorisés, le caractère sélectif des méthodes de capture en cause et les précautions imposées aux chasseurs », éléments mis en avant par le ministère de la transition écologique et solidaire, font obstacle à la reconnaissance de l’existence de cette condition. Ces éléments pourront donc être pris en compte pour apprécier l’urgence qu’il y aurait à suspendre une autorisation de chasse.  

Dans une autre ordonnance du même jour, le Conseil d’Etat indique que l’imminence de l’ouverture la campagne de chasse 2020-2021 et les conséquences financières qu’entraine l’interdiction de la chasse à la glu pour les chasseurs ne constituent pas des éléments de nature à établir l’urgence nécessaire au prononcé de la suspension, « eu égard à l’intérêt général qui s’attache au respect du droit de l’Union européenne et à la conservation des oiseaux sauvages concernés ». Par cette ordonnance Fédération nationale des chasseurs et Fédération régionale des chasseurs de la région Provence-Alpes-Côte d’Azur, le juge administratif rejette ainsi la demande de suspension de la décision refusant d’autoriser, pour la campagne 2020-2021, l’emploi des gluaux pour la capture des grives et des merles destinés à servir d’appelants dans les départements des Alpes-de-Haute-Provence, des Alpes-Maritimes, des Bouches-du-Rhône, du Var et du Vaucluse.  

L’existence de l’urgence est néanmoins reconnue dans une troisième ordonnance, en date du 11 septembre. A l’occasion de cette affaire relative à la chasse de la tourterelle des bois, le Conseil d’Etat considère en effet que « eu égard à l’objet de l’arrêté dont la suspension est demandée, qui détermine les conditions dans lesquelles la tourterelle des bois peut être chassée […], au nombre maximal de prélèvements qu’il retient pour la chasse de cette espèce et qui n’est pas encore atteint, ainsi qu’à l’état de conservation de celle-ci, la condition d’urgence est remplie ». Le Conseil d’Etat juge ainsi qu’il y a urgence en raison de l’état de conservation de l’espèce et de la circonstance que l’ensemble des prélèvements autorisés n’aient pas été réalisés. L’arrêté contesté autorisait en effet le prélèvement, en France métropolitaine du 29 août 2020 au 20 février 2021, d’un maximum de 17 460 spécimens de tourterelles des bois. Or le quota maximal de 17 460 spécimens n’avait pas encore été atteint. Le juge semble ainsi considérer que, la suspension pouvant intervenir en temps utile pour la conservation de l’espèce, la condition d’urgence est remplie. 

  

2 – Mise en œuvre du principe de précaution pour suspendre l’autorisation de chasse de la tourterelle des bois 

Par l’ordonnance du 11 septembre 2020, Ligue pour la protection des oiseaux et Association one voice, n° 443482 et 443567, le Conseil d’Etat s’est comme évoqué ci-avant prononcé sur la conformité de l’autorisation de la chasse de la tourterelle des bois avec la directive 2009/147/CE du Parlement européen et du Conseil du 30 novembre 2009 concernant la conservation des oiseaux sauvages.  

Dans cette affaire, les associations requérantes sollicitaient la suspension de l’exécution de l’arrêté ministériel autorisant la chasse de la tourterelle des bois présenté ci-dessus, au motif notamment que cet arrêté méconnaissait l’article 2 de la directive 2009/147/CE. En effet, aux termes de cet article, « Les États membres prennent toutes les mesures nécessaires pour maintenir ou adapter la population de toutes les espèces d’oiseaux visées à l’article 1er à un niveau qui corresponde notamment aux exigences écologiques, scientifiques et culturelles, compte tenu des exigences économiques et récréationnelles ». 

Dans le cadre de l’examen de cette question, plusieurs éléments relatifs à la conservation de l’espèce sont pris en compte par le juge. Le Conseil d’Etat relève que la population de la tourterelle des bois, espèce notamment classée comme vulnérable par l’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN), a diminué en Europe de près de 80% entre 1980 et 2015. En outre, le Comité d’experts sur la gestion adaptative[1] a rendu un avis préconisant à titre principal de ne pas autoriser les prélèvements de spécimens de tourterelle des bois. La France a également fait l’objet d’une mise en demeure le 25 juin 2019 de la Commission européenne, qui avait souligné qu’aucune mesure de conservation spécifique à cette espèce n’avait été adoptée. Le Conseil d’Etat reproche également à l’Etat sa méthode de calcul du nombre de spécimens pouvant être prélevés, et en particulier d’avoir seulement appliqué « une règle de trois fondée sur une approximation de la baisse tendancielle de la population européenne sur les décennies passées », sans se fonder sur d’autres éléments permettant d’apprécier l’état de conservation de l’espèce de manière plus complète. 

Le juge se fonde alors sur l’ensemble de ces éléments et sur le principe de précaution pour considérer qu’il existe un doute sérieux sur la légalité de l’acte attaqué, dès lors qu’il « méconnaît l’objectif d’amélioration de l’état de conservation de l’espèce, résultant des articles 2 et 7 de la directive n° 2009/147/CE du 30 novembre 2009 ». Toutefois, si le Conseil d’Etat indique se fonder sur le principe de précaution, il n’apporte pas plus de précision sur son  appréciation de ce principe.

 
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[1] Aux termes de l’article L. 425-16 du Code de l’environnement « La gestion adaptative des espèces consiste à ajuster régulièrement les prélèvements de ces espèces en fonction de l’état de conservation de leur population et de leur habitat, en s’appuyant sur les connaissances scientifiques relatives à ces populations. […] »