le 20/02/2019

Action de l’UFC-Que Choisir devant le TGI de Paris : annulation de 38 clauses abusives des règles de confidentialité et des conditions d’utilisation Google

TGI Paris, 12 février 2019 UFC Que-Choisir / Google Inc.

Au terme d’une bataille judiciaire de presque cinq années, le Tribunal de grande instance de Paris (« TGI Paris »), saisi le 12 mars 2014 par l’association de défense des consommateurs UFC Que-choisir au sujet des Règles de confidentialité et des Conditions d’utilisation du réseau social Google+ de la société de droit américain Google Inc., a enfin rendu son jugement, le 12 février dernier. Par ce jugement, le Tribunal a annulé 38 clauses de ces conditions contractuelles du fait de leur caractère abusif.

En se prononçant sur ces clauses (dans leurs versions datant pour les plus récentes de 2016), le Tribunal de grande instance de Paris a ainsi été amené à prendre position sur la validité de clauses qui appartiennent au socle contractuel et qui donc, au-delà du service Google+, s’appliquent à l’ensemble des autres services de la société Google.

Cette décision est tout d’abord l’occasion pour les juges de rappeler que le critère d’application des règles du droit de la consommation sur les clauses abusives de l’article L. 212-1 alinéa 1er du Code de la consommation n’est pas, contrairement à ce que soutenait la société Google Inc., le caractère onéreux du contrat mais les qualités de professionnel et de consommateur des cocontractants.

Au demeurant, le Tribunal rappelle à cet égard que l’absence de paiement monétaire n’exclut pas la qualification de contrat conclu à titre onéreux dès lors que « la fourniture de données collectées gratuitement puis exploitées et valorisées par la société Google doit s’analyser en un « avantage » au sens de l’article 1107 du Code civil, qui constitue la contrepartie de celui qu’elle procure à l’utilisateur ». En l’occurrence, il est relevé que cette valorisation de la collecte de données s’opère par la diffusion auprès des utilisateurs d’une publicité générale ou ciblée.

Les juges confirment ensuite la possibilité pour l’association de défense des consommateurs, dont l’objet est de protéger l’intérêt collectif des consommateurs, d’invoquer les dispositions de la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 relative à l’informatique, aux fichiers et aux libertés (« Loi Informatique et Libertés ») puisque les finalités générales de cette loi (qui sont la protection des libertés individuelles et de la vie privée face au développement de l’informatique) concourent parfaitement avec celles du droit de la consommation. Le Tribunal de grande instance de Paris ne s’est pas fondé sur les dispositions du Règlement (UE) 2016/679 du 27 avril 2016 (« RGPD »), celui-ci étant entré en vigueur postérieurement à l’action de l’UFC Que-choisir. Il ne fait pas de doute qu’au regard du RGPD, la décision du TGI Paris aurait été la même.

Préalablement à l’examen individuel de chacune des clauses visées par l’action, la décision revient sur la demande générale en nullité des deux contrats formulée par l’UFC Que-choisir. Pour fonder cette demande, l’association avait invoqué le manquement général de Google Inc. à l’obligation du professionnel de fournir une information claire et compréhensible, d’une part, au consommateur et, d’autre part, à la personne concernée par un traitement de données personnelles, en application du droit de la consommation. L’UFC Que-choisir reprochait ce manque d’information des utilisateurs du service Google + du fait de la multiplicité des documents devant être ouverts par le biais de liens hypertextes successifs.

Il est intéressant de noter ici que le Tribunal estime pour sa part que la société Google Inc. fait un usage tout à fait raisonnable « des fragmentations et des liens hypertextes qui permettent précisément d’éviter la concentration d’information des éléments du socle contractuel sur des espaces restreints » et use d’un vocabulaire adéquat, permettant ainsi à l’utilisateur d’avoir une connaissance suffisante du caractère personnel des données qu’il transmet. Pour justifier sa position, le jugement ajoute que « les dispositifs de présentation d’informations par strates (ou paliers) au moyen de liens hypertextes sont d’usage tout à fait normal en informatique » et relève en outre que les fragmentations subséquentes ne portent que sur des textes simplement explicatifs ou pédagogiques sans valeur contractuelle.

Une telle solution pourrait sembler de prime abord entrer en contradiction avec la récente délibération prise par la CNIL au sujet de ces mêmes Règles de confidentialité et Conditions d’utilisation (dans leur version plus récente puisque la Délibération de la CNIL a porté sur les versions en ligne en décembre 2018). Sur l’obligation d’information à la charge du responsable de traitement au titre du RGPD, la CNIL a retenu que l’architecture générale de l’information choisie par la société Google Inc. (information fragmentée et accessible uniquement via une succession de liens hypertextes) ne permettait pas de fournir une information transparente à l’utilisateur en raison de l’éparpillement excessif de l’information relative à la collecte des données entre les Règles de confidentialité et les Conditions d’utilisation et de l’usage excessif de renvois par liens cliquables (Délibération n° SAN – 2019-001 du 21 janvier 2019 prononçant une sanction pécuniaire à l’encontre de la société GOOGLE LLC). Toutefois, cette contradiction s’explique par le fait que la CNIL, contrairement aux juges du TGI Paris, a examiné l’ensemble de l’information faite à l’utilisateur sans se limiter aux seuls textes ayant une valeur contractuelle. Alors que le TGI Paris a dû trancher sur les clauses contractuelles au titre des clauses abusives (non applicables à des textes d’information non contractuels), la CNIL a dû quant à elle apprécier l’architecture plus générale de l’information, en application du RGPD.

Après la question de l’architecture générale de l’information, c’est ensuite le contenu des clauses des Règles de confidentialité et des Conditions d’utilisation et leur caractère abusif qui a été tour à tour examiné par le Tribunal au regard de leur conformité à diverses dispositions légales applicables (à savoir le Code de la consommation, la Loi Informatique et Libertés et le Code de la propriété intellectuelle).

> Les clauses des Règles de confidentialité ont été examinées au regard de la Loi Informatique et Libertés et du Code de la consommation.

La plupart des clauses invalidées ont été jugées abusives en raison du non-respect de l’exigence d’une information claire, complète et détaillée (exigence résultant de la combinaison de l’article 32 de la Loi Informatique et Libertés et des articles L. 111-1, L. 111-2 et L. 221-5 du Code de la consommation). Le tribunal a considéré que ce contrat n’exposait pas clairement que la finalité réelle et première de la collecte était l’organisation d’envois de publicités ciblées à l’utilisateur, en exploitant commercialement ses données personnelles.

Ce sont aussi plusieurs clauses présumant du consentement de l’utilisateur qui sont censurées, notamment pour le recoupement général de l’ensemble des données collectées dans le cadre de l’ensemble des services de la société Google Inc.

> Les clauses des Conditions d’utilisation ont quant à elles été principalement examinées au regard du droit de la consommation et du Code de la propriété intellectuelle.

Au visa du droit de la consommation :

  • Les juges ont, sans surprise, invalidé les clauses prévoyant que la seule utilisation des services valait acceptation du contrat. En effet, de telles clauses ne permettent pas de garantir que le consommateur dispose d’une l’information préalable concernant les caractéristiques essentielles du service ;
  • La clause consistant à présenter la pratique des publicités ciblées comme une « fonctionnalité pertinente» proposée à l’utilisateur alors qu’une telle pratique est par définition réservée au seul avantage du professionnel et n’est donc « pertinente » que pour ce dernier (en ce qu’elle permet la valorisation des données des utilisateurs) a été annulée car contraire à l’article L. 133-2 du Code de la consommation qui prévoyait (dans son ancienne rédaction) l’exigence d’une rédaction claire et compréhensible des contrats de consommation ;
  • La clause limitative de garantie de Google Inc. a été annulée car elle conduisait la société à ne contracter en réalité aucune promesse, aucun engagement concernant le contenu des services ou la disponibilité des fonctionnalités ce qui constitue une clause illicite par laquelle « le professionnel pourrait fournir une prestation imparfaite sans engager sa responsabilité» (contraire à l’article L. 221-15 du Code de la consommation).

> En matière de propriété intellectuelle, trois clauses ont été censurées :

  • La clause de licence de l’utilisateur sur ses contenus postés et partagés a été jugée non conforme au formalisme exigé en matière de cession ou concession de droit d’auteur (articles L. 131-1, L. 131-2 et L. 131-3), le Tribunal considérant qu’elle constituait une licence globale et imprécise sur l’ensemble des contenus publiés par les utilisateurs sans préciser de manière suffisante les contenus visés, la nature des droits conférés et les exploitations autorisées ;
  • La clause par laquelle la société Google Inc. affirmait que l’utilisateur conservait « tous [ses] droits de propriété intellectuelle sur [ses] contenus» a été annulée car elle entrait en contradiction avec la clause susmentionnée qui prévoyait une licence d’exploitation sur ces mêmes contenus ;
  • La clause prévoyant la notification de contenus portant atteinte aux droits d’auteur et plus spécialement l’application exclusive de la loi américaine à de telles notifications (ce qui revenait à exclure les règles issues du Code de la propriété intellectuelle et de la loi n° 2004-575 du 21 juin 2004 pour la confiance dans l’économie numérique), une telle exclusion de la loi française constituant selon le tribunal une clause abusive.

La société Google Inc. a été condamnée à la publication de la décision sur la page d’accueil de son site internet dans un délai d’un mois à compter de la signification de la décision, pour une durée de trois mois. La décision ne précise pas si par « publication de la décision sur la page d’accueil de son site internet », il faut entendre une publication sur la page d’accueil du service Google + ou sur celle du moteur de recherche (ce qui aurait un écho beaucoup plus large). Sans doute Google Inc. entend-elle revendiquer que cette obligation concerne la page d’accueil du service Google +. En décidant la fermeture de ce service à compter du 2 avril 2019 (ce qui est actuellement annoncé sur la page d’accueil du service), elle pourrait ainsi n’avoir à publier cette décision que quelques jours. Google Inc. a été par ailleurs condamnée à verser à l’association UFC Que-choisir la somme de 30.000 euros à titre de dommages et intérêts ainsi que la somme de 20.000 euros au titre de l’article 700 du Code de procédure civile.

Bien que la présente décision ait un intérêt pédagogique certain quant à l’appréciation du caractère illicite ou abusif de clauses figurant dans des contrats de consommation, et en particulier des contrats conclus avec des plateformes proposant des services en ligne gratuits, sa portée reste toutefois limitée dans la mesure où la totalité des clauses jugées abusives en l’espèce avaient été retirées depuis plusieurs années des documents contractuels de la société Google Inc. (du fait du contentieux alors en cours). La longueur de la procédure montre les limites du traitement judiciaire de ce type de contentieux. Le contraste de cette durée avec la rapidité de la procédure mise en œuvre par la CNIL à l’égard des mêmes conditions contractuelles (dans une version plus récente) de Google Inc. en septembre dernier (8 mois) souligne d’autant plus le constat de ces limites, de même que le montant de la sanction pécuniaire de 50 millions d’euros prononcée à l’encontre de la société Google Inc.

 

Par Audrey Lefèvre et Sara Ben Abdeladhim
Cabinet LEFEVRE AVOCATS